Nous avons pu, une nouvelle fois, échanger longuement avec les saisonniers rencontrés la dernière fois (Louise, Émile et Arthur) pour savoir où ils en étaient et si la situation avait évolué. Nous vous laissons découvrir l’interview ci-dessous :
Bonjour, pourriez-vous nous indiquer si la situation a enfin évolué pour les saisonnier.es à propos du logement ? Les domaines disent quoi ? Est-ce qu’ils vous aident ?
La situation est toujours la même, les gendarmes continuent à expulser les campements et à amener des gens vers le village vendangeurs. Les 5 domaines avec qui nous avons pu échanger trouvent la situation délirante. Certains sont prêts à aider les vendangeur.es en leur payant le camping mais ne sont pas satisfaits pas cette solution. Certains employés permanents récoltent les témoignages pour faire remonter ça à leur confédération.
Il semble que vous êtes allés dormir au « village vendangeur », pourquoi ce choix ?
Nous sommes allés dormir au village vendangeur parce que nous n’avions pas le choix d’y aller. Nous venons de loin, nous campions habituellement sur des terrains privés ou communaux avec l’accord des propriétaires ou des maires. Mais cette année les gendarmes nous ont délogé et menacent de nous mettre des amendes si nous campons là où on a l’habitude de le faire. Tout ça sous le regard médusé des voisin.es qui nous soutiennent et se demandent ce qui se passe.
Qu’avez-vous pensé du camping et de son organisation ?
Le camping est catastrophique. On est parqué dans des pré à chevaux derrière des clôtures électrifiées. Le sol est argileux avec très peu d’herbe, donc vite boueux et plein de merdes. L’accès aux toilettes et aux douches n’est ouvert que de 17h à 22h, il n’y a pas d’eau potable. L’entrée est gardée par un vigile, Ce n’est peut-être pas très fin mais dans les vignes tout le monde appelle ça le « camp de concentration ».
La nuit a-t-elle était à vos frais ?
Nous avons eu la chance d’avoir une compensation financière de la part de notre domaine pour ne pas avoir à payer le camping. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde.
De ce que je comprends, vous déconseillez d’y aller ?
Si nous avions le choix, jamais nous n’aurions mis les pieds là-bas. D’ailleurs y’a des gens qui se barrent, qui arrêtent les vendanges parce que ça les a dégouté.
Pourtant, il semble que le propriétaire du « village vendangeur » souhaite maintenir son activité, pourquoi d’après vous ?
Pas étonnant, pour lui c’est tout bénéfice, on a appris que tout était financé, 80% par l’Etat et 20% par les collectivités. Pour nous, c’est clairement pour l’argent qu’il fait ça. Il l’assume, il dit que l’année prochaine, il y aura 300 vendangeur.es sur ses terrains. À 8 euros la nuit, ça va lui faire un sacré gain.
Nous avons appris que plusieurs domaines hébergent en catimini leurs saisonniers malgré tout pour leur faciliter la tâche face à la situation, en avez-vous eu vent ?
On a entendu parler d’une histoire comme ça dans un village qui n’est pas survolé par les drones et où quelques vendangeur.es se sont installés en camping sur un petit bout de terrain de leur domaine, dissimulés par des buissons et des arbres. Y’en a qui ont pu se faire prêter un bout de maison mais c’est très délicat, les domaines sont extrêmement frileux. Si la MSA ou l’inspection du travail découvre ça, c’est eux qui trinquent.
Cette situation désastreuse est une première, nous avons écouté l’interview du président de la CAVB qui critique les décisions unilatérales de l’Etat pour cette saison de vendanges, est-ce que vous en parlez avec vos patrons ?
On en parle avec les patrons, ils trouvent que c’est n’importe quoi, mais beaucoup sont des millionnaires qui se trouvent bien loin des préoccupations des vendangeur.es précaires. Ils ont un peu d’empathie mais on n’a pas l’impression qu’ils vont se démener pour nous loger dans de bonnes conditions. Ça va peut-être bouger grâce aux secrétaires, vignerons et autres employés qui sont plus conscient.es de la situation et ont envie d’offrir des conditions décentes à leurs vendangeur.es.
D’ailleurs, en parlant de patron, avez-vous négocié avec eux ou tenté de le faire pour exiger des salaires plus élevés face à cette situation déplorable ? A notre connaissance, ils ont eux-mêmes été mis devant le mur par la préfecture à la dernière minute alors qu’ils avaient annoncé aux salarié.es des hébergements possibles dans les domaines ?
On s’attendait à camper comme d’habitude en allant vendanger, mais comme le délire autoritaire de la préfecture s’est manifesté très tard, alors que les vendanges commençaient, on a été mis au pied du mur. C’est en arrivant sur place qu’on s’est rendu compte des interdictions.
Certain.es vendangeur.es ont été alerté.es la veille de leur arrivée parce que les gendarmes étaient passé dans leurs domaines juste avant. Les domaines ont été pris de cours aussi. Ce qu’on a négocié c’est une hausse de salaire qui permette de compenser le prix du camping. Ça a marché dans certains domaines, pas dans d’autres.
Plus largement, pensez-vous que le CAVB et les domaines font assez pour vous soutenir ? Surtout, quand on connait déjà les conditions de travail pendant la période des vendanges ?
On ne sait pas ce que fait la CAVB. Pour ce qui est des domaines, c’est très inégal. Pour certains c’est évident de soutenir, d’autres refusent de le faire même après de longues négociations. Ce qui nous semble fou c’est que les conditions se dégradent années après années. De moins en moins de domaines nourrissent, encore moins logent. Si par-dessus ça toute autre possibilité de logement est interdite je ne sais qui va continuer à venir vendanger. C’est un des boulots les plus pénibles qui soit. Il y a quand même eu 7 ou 8 morts cette année ! On pense que les domaines doivent faire un effort pour qu’il n’y ait pas une atmosphère de compétition qui se mette en place dans les vignes et que les vendangeur.es puissent se remettre de leur journée dans de bonnes conditions et ne pas avoir le stress de ne pas savoir là où ils vont dormir. S’il y avait un assouplissement des normes d’hébergement et l’abrogation de l’article du code rural qui interdit le camping, ce serait plus facile pour les domaines de répondre à cet effort. Cela ne doit pas les empêcher par contre d’investir a minima dans des sanitaires suffisamment grands et propres.
Face à une telle situation, pensez-vous qu’une mobilisation collective des saisonnier.es par le biais d’une action est possible ? En effet, on pourrait tout à fait imaginer, une action des saisonnier.es dans un contexte intolérable de maltraitance, à ce moment-là y prendriez-vous part ?
Ça serait génial qu’il y ait une action ! Mais c’est très difficile à mettre en place. Il n’y a pas réellement d’organisation ou de collectif qui permettent de s’organiser entre vendangeur.es. En tout cas, nous n’avons pas encore pu les rencontrer. Néanmoins, on commence à y croire car des tags, des affiches et tracts sont en train de fleurir sur toute la Côte ! L’idéal, ça serait de faire une action si, après la journée de travail, entre 18 et 19h. Ça serait assez inédit et complétement légitime !
Pour information, les prénoms ont été changés à la demande de ceux que nous avons interviewés.