Valérie Jacq, candidate sur la liste d’union de Manon Aubry pour les prochaines élections européennes qui se dérouleront le 9 juin 2024, a la responsabilité de représenter La France insoumise de Côte d’Or lors de ces élections. Elle a accepté de répondre à nos questions sans langue de bois, et nous la remercions.
Pouvez-vous nous présenter brièvement votre liste et les principaux objectifs que vous visez pour ces élections européennes ?
Valérie Jacq : Comme son nom l’indique, il s’agit d’une liste d’union. Malgré l’échec de la NUPES, dû aux calculs politiciens de nos partenaires, nous continuons à porter le programme partagé élaboré aux dernières législatives. On y retrouve des personnalités du monde civil, comme le syndicaliste Anthony Smith, inspecteur du travail sanctionné pour avoir dénoncé l’absence de masques dans une structure d’aide à domicile. Le tribunal l’a réhabilité. Pour notre mouvement, le rôle des syndicats est essentiel et les attaques dont ils font l’objet sont inacceptables. C’est pourquoi Jean-Luc Mélenchon s’est rendu à Lille pour soutenir le syndicaliste jugé pour « apologie d’un acte terroriste » alors qu’il tentait d’expliquer le massacre du 7 octobre par la violence de l’occupation israélienne. Expliquer n’est pas approuver. Nous sommes très fiers que Rima Hassan ait choisi de rejoindre notre liste: elle a vécu la tragédie de l’occupation, l’histoire de sa famille en est imprégnée mais n’est pas pour autant guidée par la haine. Elle reste, comme la France insoumise, sur le terrain du droit international.
Nous retrouvons aussi Damien Carême, eurodéputé écologiste, premier maire à avoir porté plainte contre le gouvernement pour inaction climatique en raison des inondations menaçant sa ville, Grande-Synthe. Arash Saedi, ex-coordinateur de Génération·s, a fait le même choix après que les adhérents de son mouvement se sont prononcés pour une liste commune avec LFI, souhait qui n’a pas été respecté par la direction. Nos objectifs sont de passer devant les autres formations soi-disant de gauche pour sanctionner leur choix de la division. Plus nous aurons d’eurodéputés, plus nous pourrons peser sur les politiques néolibérales qui détruisent les services publics et engendrent beaucoup de souffrance parmi les peuples européens.
Quelles sont les principales mesures que vous souhaitez mettre en œuvre au niveau européen pour répondre aux défis actuels tels que le changement climatique, l’immigration, ou l’économie ?
Valérie Jacq : Comme vous le notez, les enjeux sont de taille mais des solutions existent. Pour lutter contre le changement climatique, il faut transformer notre modèle agricole et alimentaire. La crise agricole ne peut pas être l’occasion de minorer les restrictions sur l’utilisation de pesticides. Il faut encourager une autre agriculture en réformant la PAC de façon à ce qu’elle ne profite pas aux plus grandes exploitations, aider à l’installation de petits agriculteurs bio comme le préconise la Confédération paysanne. L’Union populaire a conscience de l’urgence à agir contre le réchauffement climatique, cela demande des moyens et une vision à long terme, c’est ce que nous proposons avec la planification écologique. Elle prévoit le passage au 100 % énergies renouvelables d’ici 2050. Comment financer cet objectif ambitieux ? En taxant les riches et les superprofits. Il faut en finir avec le marché carbone qui a montré son inefficacité. Les bénéfices des grosses entreprises ne cessent d’augmenter, pourquoi ne pas les mettre davantage à contribution ? Les nouvelles ressources comme l’impôt sur la fortune, la taxation des biens et loisirs anti-écologiques ou encore la taxe sur les superprofits permettraient de générer 3000 milliards d’euros de recettes supplémentaires sur 5 ans ! Ce serait beaucoup plus juste que d’étendre la taxe carbone à tous les ménages comme l’envisage l’Union européenne. Il faut savoir que l’empreinte carbone de Bernard Arnault est 1270 fois plus élevée que celle d’un Français moyen !
L’Union populaire défend une politique migratoire humaniste en Europe. Il faut agir sur les causes de l’exil avant tout, comme le dérèglement climatique par exemple. Il n’est pas acceptable que des centaines de migrants meurent à nos portes et il faut remplacer l’agence FRONTEX, dont l’ancien président est à présent candidat sur la liste du RN, par une agence qui veillerait au sauvetage des migrants. Quelles sont les valeurs que nous voulons pour l’Europe? Ce sont des valeurs humanistes, héritées des Lumières, soyons-en dignes plutôt que d’adopter celles de la haine et de l’exclusion. Chaque vie humaine a la même valeur. N’oublions pas que beaucoup de ces migrants viennent d’anciennes colonies auxquelles nous devons notre prospérité et dont nous continuons souvent à exploiter les ressources.
En ce qui concerne l’économie, la France insoumise refuse le dogme de l’austérité qui sert aux tenants du néolibéralisme à imposer une privatisation de l’ensemble des secteurs, y compris les services publics. Il faut sortir de cette logique capitaliste qui ne profite qu’à certains et appauvrit la majorité des Européens. Des mesures simples permettraient une meilleure distribution des richesses comme la lutte contre l’évasion fiscale. Il faut protéger les Français de la concurrence déloyale installée par la doxa du libre-échange, mettre un terme au statut de travailleurs détachés qui favorise la précarité. Leïla Chabi, eurodéputée insoumise, a obtenu l’amélioration des conditions de travail et de rémunération des travailleurs et travailleuses ubérisés. Les jeunes paient le prix fort des politiques d’austérité et nous prévoyons une garantie d’autonomie de 1 158 euros pour les aider à se lancer dans la vie. Nous demandons aussi la création d’un pôle public de l’énergie pour contrôler les augmentations délirantes du coût du kilowattheure. Pour cela, il faut sortir du marché européen de l’électricité qui profite avant tout aux actionnaires et aux fournisseurs. Total a reversé 18,4 milliards d’euros à ses actionnaires en 2023 alors que la précarité énergétique des Européens ne cesse d’augmenter.
Comment votre liste compte-t-elle renforcer la coopération entre les pays membres de l’Union européenne ?
Valérie Jacq : Si nous ne sommes pas majoritaires, nous ne sommes pas non plus isolés au Parlement européen et Manon Aubry dirige le groupe de la gauche composé de partis grecs, allemands, irlandais, espagnols, belge, suédois, portugais… Ensemble, nous pouvons peser sur les décisions prises et développer une coopération qui ne se réduit pas à un marché commun mais à de véritables valeurs communes comme celles de la justice sociale et économique, du respect de l’environnement, du droit des femmes, de la paix et de la solidarité.
Quelles sont vos propositions pour promouvoir la croissance économique et l’emploi au sein de l’Union européenne ?
Valérie Jacq : L’Union populaire préconise de sortir du dogme de la croissance à tout prix. Nous devons trouver une façon d’habiter le monde sans le détruire aux profits d’une minorité. La bifurcation écologique et sa planification s’accompagnent de nombreux chantiers qui vont booster l’économie et l’emploi : développement des énergies renouvelables, rénovation énergétique et du réseau ferroviaire.
La fin du statut de travailleurs détachés permettra de développer l’emploi et nous sommes également en faveur d’une baisse du temps de travail qui permet de créer des emplois et de préserver une vie plus équilibrée avec des relations sociales et familiales harmonieuses. Les progrès technologiques doivent contribuer à nous libérer plutôt que nous contraindre toujours davantage.
Comment votre liste envisage-t-elle de traiter les questions de sécurité et de lutte contre le terrorisme à l’échelle européenne ?
Valérie Jacq : La lutte contre le terrorisme passe aussi par la lutte contre ceux qui le financent : il faut poursuivre les entreprises ou associations qui utilisent la fraude fiscale pour financer le terrorisme. C’est une des raisons pour lesquelles nous défendons plus de transparence dans le monde financier. La coopération des services de renseignement européens doit être renforcée. Il faut développer le suivi social et psychologique dans les milieux susceptibles de radicalisation. Le terreau du terrorisme est souvent la misère, sociale, éducative et nous devons être en mesure de proposer des projets de vie attractifs à une jeunesse abandonnée.
Quels sont vos plans pour promouvoir les droits de l’homme et les valeurs démocratiques au sein de l’Union européenne ?
Valérie Jacq : La politique actuelle de l’Union européenne ne respecte pas la volonté populaire. Il faut renégocier de nouveaux traités et organiser des référendums d’initiative citoyenne européens. Les peuples européens doivent être souverains et les décisions prises conformément à leur volonté. Un de nos principaux combats est la lutte contre les lobbies et la corruption. Actuellement, il y a 70 lobbyistes pour un parlementaire au Parlement européen ! Et le montant des rémunérations annexes perçues chaque année par les parlementaires européens est évalué dans une fourchette de 4 à 11 millions ! Manon Aubry et son groupe se sont distingués par leur engagement sur le sujet, obtenant l’obligation pour tous les parlementaires de déclarer leur patrimoine et de rendre public leurs rendez-vous et ceux de leurs assistants.
Nous défendons aussi la paix contre les va-t-en-guerre qui profitent de l’instabilité géopolitique pour assoir leur autorité par la peur. Les solutions diplomatiques doivent être privilégiées et l’Europe être le fer de lance de cette diplomatie de la paix. Notre groupe a été à l’initiative de la résolution demandant un cessez-le-feu immédiat et permanent à Gaza, mettant fin à des mois d’atermoiements honteux malgré la tragédie en cours.
Nous combattrons les idées régressives et dangereuses de l’extrême-droite en promouvant nos droits fondamentaux comme celui pour les femmes d’avoir recours à l’IVG, contre toutes les formes de racisme et de discrimination.
Comment comptez-vous aborder la question de la gestion des flux migratoires et de l’intégration des migrants au niveau européen ?
Valérie Jacq : L’augmentation récente des flux migratoires a trois origines : la multiplication des conflits armés, la destruction des économies locales par la mondialisation et le réchauffement climatique. Ces causes sont entretenues depuis l’Europe, par des interventions militaires illégales et illégitimes, le financement de dictatures à travers les fonds européens de développement, le pillage des ressources naturelles et alimentaires, les accords de libre-échange et le soutien aux énergies fossiles ou à l’extractivisme. Nous proposons de passer des accords de coopération avec les pays dont proviennent les migrants afin de les aider à développer des conditions de vie décentes dans leur pays. Les États membres de l’UE doivent agir sur les causes des migrations et élaborer un véritable dispositif d’accueil et d’accompagnement des migrant·es.
Cependant, la majorité des réfugié·es ne souhaite pas venir en Europe : elle s’installe plutôt dans les pays voisins. Contrairement à ce que veut nous faire croire l’extrême-droite, ces arrivées de populations ne sont pas massives en Europe : les réfugié·es représentent 0,6 % de la population totale (en 2020).
Pourtant, les politiques d’accueil des États membres de l’Union européenne sont inadaptées et arbitraires.
La Commission européenne a soumis en 2020 un nouveau “Pacte sur la migration et l’asile”. Présenté comme un outil de coordination globale des migrations, il renforce surtout l’hostilité actuelle envers les migrant·es. Il accrédite la politique d’ « immigration choisie » et réduit les migrant·es au statut de main-d’œuvre sous-payée.
Nous devons, comme nous l’avons fait avec les Ukrainiens, accueillir dignement les migrants contraints de quitter leur pays.
Comment votre liste entend-elle promouvoir l’égalité des genres et l’inclusion sociale au sein de l’Union européenne ?
Valérie Jacq : La France insoumise est à la pointe des progrès faits en matière d’égalité des genres et d’inclusion sociale. Nous avons célébré récemment l’intégration du droit à l’IVG dans notre Constitution et allons défendre son entrée dans la Charte européenne des droits fondamentaux. Là encore, nous nous heurtons aux régressions de l’extrême-droite qui ciblent tant la liberté des femmes que celle des personnes LGBTI.
Quelle est votre vision de l’avenir de l’Europe et comment comptez-vous mobiliser les citoyens européens pour soutenir votre programme ?
Valérie Jacq : Je fais un rêve… Celui d’une autre Europe, humaniste, écologique, où il fait bon vivre, où on peut se nourrir sans risquer de s’empoisonner, où les services publics permettent à chacun de se soigner, une Europe accueillante et pacifiste. Ce rêve peut devenir une réalité, c’est ce dont nous devons convaincre chaque Européen : allez voter pour tout changer !
Enfin, comment comptez-vous collaborer avec les autres partis politiques au Parlement européen pour atteindre vos objectifs ?
Valérie Jacq : Dans notre groupe, nous travaillons de concert avec plusieurs partis de gauche européens. Quant à savoir comment nous travaillerons avec les représentants des autres partis de gauche et écologique français, tout dépendra sans doute des sujets : il est des combats sur lesquels nous pouvons nous rejoindre, d’autres non ! Le pragmatisme et l’efficacité au service du peuple l’ont toujours emporté sur les calculs politiciens pour la France insoumise.