C’est la rentrée pour beaucoup de monde, et l’Union Syndicale Solidaires 21 fait également sa rentrée, bien que le syndicat soit resté mobilisé pendant les vacances d’été. Dans ce cadre, nous avons interviewé Théo Contis, l’un des co-secrétaires du syndicat. Élections TPE, extrême droite, politique, revendications, mobilisations : Théo Contis répond à nos questions sans tabou.
Emmanuel Macron a refusé de nommer Lucie Castets au poste de Première ministre. Plusieurs syndicats étudiants appellent à manifester le 7 septembre 2024. Serez-vous dans la rue, aux côtés des étudiants, le 7 septembre 2024 ?
Tout d’abord, il convient de prendre le temps de revenir sur la séquence politique que nous vivons actuellement, et depuis maintenant plus de deux mois, qui est une nouvelle illustration de la bascule complètement illibérale du pouvoir macroniste. Aujourd’hui, les digues de la Vème République explosent. Nous aurions pu nous réjouir d’enterrer cette constitution pour modifier en profondeur nos institutions et construire un projet politique et de société émancipateur mais c’est tout le contraire qui est en train de se produire. Nous entrons chaque jour un peu plus dans un régime autoritaire, il faut que la population se rende compte de cela. Il faut l’énoncer et le répéter.
La logique institutionnelle et le respect de la souveraineté populaire exprimée par les élections législatives auraient dû amener à la nomination de madame Castets ou d’une autre personne du NFP quitte à ce que la censure arrive immédiatement à l’Assemblée Nationale. Le fonctionnement des institutions c’est cela et non le fait du prince qui administre ou non les mauvais points. Macron est perdu et son mandat l’est tout autant. Sa volonté de conserver le pouvoir à tout prix, par l’intermédiaire d’un gouvernement démissionnaire -et donc non-légitime, doit nous inquiéter collectivement. Nous sommes dans une grave dérive du pouvoir politique.
Macron a parfaitement profité de son rêve de « trêve olympique » pour détourner la population de ses basses manœuvres. L’inconséquence de Macron illustre à la perfection les mots de Guy Debord lorsqu’il évoquait dans la Société du Spectacle que « le spectacle est l’idéologie par excellence, parce qu’il expose et manifeste dans sa plénitude l’essence de tout système idéologique : l’appauvrissement, l’asservissement et la négation de la vie réelle ».
Pour répondre à votre question, notre organisation syndicale n’a pas encore pris de décision sur sa participation aux manifestations du 7 septembre 2024. Peut-être que nous y appellerons, cela est probable, mais si tel est le cas alors cela sera sur un revendicatif propre à notre organisation et non-affilié aux partis politiques du NFP.
L’extrême droite aujourd’hui n’a jamais été aussi forte. Comment combattre ce phénomène qui, depuis plusieurs années, ne fait que monter ?
L’extrême-droite n’a jamais été aussi forte électoralement c’est un fait mais il faut indiquer dans le même temps que la droite n’a jamais aussi été extrême et que des composantes de ladite sociale-démocratie s’aventurent elles aussi dans une droitisation inquiétante de la pensée. L’écrasante majorité de l’échiquier politique se « droitise » depuis des décennies.
Déjà pour la combattre, il faut faire preuve d’auto-critique au sein de nos organisations progressistes ou révolutionnaires pour comprendre notre échec collectif dans la lutte face à l’extrême-droite. Il faut arrêter de dispenser une parole, parfois caricaturale et moralisatrice, sans faire d’effort de compréhension plus large de notre société et plus largement des sociétés occidentales.
Il faut comprendre et analyser cette montée conséquente de l’extrême-droite dans le jeu électoral comme l’opposition marquée dans les votes entre villes et campagnes. Mais cette compréhension doit s’accompagner dans le même temps d’une dénonciation sans faille de ce qu’est l’extrême-droite dans son essence et dans ses envies. Il faut donner des exemples concrets pour dénoncer l’imposture sociale qu’elle est.
Il faut rabâcher sans cesse que l’extrême-droite s’oppose à la protection du système social français (qui profite en particulier au plus précaires) en refusant par exemple une hausse des salaires en brut et donc des cotisations sociales, ou bien qu’en son sein de nombreuses personnes revendiquent être homophobes, misogynes et racistes. La quantité incalculable de figures racistes qui ont candidaté pour le Rassemblement National lors des dernières législatives sont de parfaits exemples de ce qu’est l’extrême-droite malgré des efforts importants pour cacher leur véritable identité politique rance et réactionnaire.
Il faut aussi rappeler qu’à Bourges, le jeudi 15 août 2024, des camarades dont deux personnes de Solidaires se sont faites attaquées par des membres d’extrême-droite. Les blessures occasionnant de 5 à 30 jours d’arrêt. Cette attaque fait suite à de nombreuses autres violences et intimidations dont la liste s’est allongée cette dernière année en toute impunité. Nous ne pouvons pas et nous ne devons pas laisser l’extrême-droite continuer d’agresser, dans la relative indifférence des autorités. La lutte contre l’extrême droite est un combat syndical et ces agressions ne font qu’amplifier la nécessité d’une lutte antifasciste.
Aussi, il y a une réelle difficulté dans la lutte contre l’extrême-droite c’est la concentration des médias dans les mains de milliardaires racistes. Ces médias de masse conditionnent la pensée ou tentent de l’annihiler à coup de fake news, de mensonges et de manipulation. Il ne faudrait pas que nous terminions comme dans le film « Idiocracy ». Si Bolloré est l’exemple le plus frappant avec son porte-flingue Hanouna (qui vient d’ailleurs d’embaucher dans ses émissions l’ancienne leadeuse de Génération Identitaire, organisation dissoute en 2021 du fait de ses actions violentes), il n’est malheureusement pas le seul.
Un débat public doit être mené sur la concentration des médias et les pouvoirs de l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) doivent être étendus si l’on souhaite préserver un « débat » démocratique en France et plus vraisemblablement la démocratie à moyen terme quand bien même celle-ci est grandement imparfaite. En effet, comme l’énonçait Bakounine « le suffrage universel, tant qu’il sera exercé dans une société où le peuple, la masse des travailleurs, sera économiquement dominée par une minorité détentrice de la propriété du capital, quelque indépendant ou libre d’ailleurs qu’il soit ou plutôt qu’il paraisse sous le rapport politique, ne pourra jamais produire que des élections illusoires, anti-démocratiques et absolument opposées aux besoins, aux instincts et à la volonté réelle des populations ».
Le mercredi 17 juillet en milieu de soirée, le groupuscule fasciste « Hélix Dijon » a annoncé sur leurs différents réseaux sociaux l’annulation de leur sauterie xénophobe intitulée « White Boy Summer », malgré un arrêté préfectoral qui autorisait la tenue de cette soirée en dehors de la métropole dijonnaise. Votre syndicat a mené le combat pour empêcher la tenue de cet événement. Est-ce une victoire pour vous ?
Une victoire c’est un grand mot surtout quand on voit la difficulté des pouvoirs publics à prendre leur responsabilité. Nous ne pensions pas qu’il aurait fallu se battre autant et notamment par l’intermédiaire de la presse pour obtenir l’action des pouvoirs publics. Et encore, l’arrêté de la Préfecture autorisait de fait leur soirée raciste tant qu’elle se déroulait en dehors de la métropole dijonnaise, c’est tout bonnement hallucinant et scandaleux.
Néanmoins, nous pouvons voir l’annulation de cette « sauterie » comme une satisfaction et cela démontre que malgré leurs agitations diverses, les identitaires éprouvent les plus grandes difficultés à agir dans notre département. Nous devons tout faire avec l’ensemble du mouvement social et des groupes antifascistes pour que la situation perdure ainsi en Côte-d’Or.
Heureusement, nous n’avons pas fait que cela cet été malgré une action syndicale plus modérée.
Justement quelles ont été les autres actions réalisées par Solidaires 21 cet été ?
Tout d’abord, nous avons accompagné quelques salarié.e.s dans des situations délicates avec leurs patrons et envisager les suites à donner quant à leurs diverses situations. Du matériel militant a aussi été diffusé notamment pendant la séquence électorale.
Aussi, nous avons relayé le nouveau guide des droits des salarié·es saisonnier·ères réalisé par l’Union Syndicale Solidaires car c’est un enjeu majeur que de faire connaitre à ces travailleuses et travailleurs leur droit, encore plus après l’immonde décret pris par Gabriel Attal le 9 juillet qui autorise la suspension des repos hebdomadaires des salarié·es agricoles par leurs employeurs pour des travaux dont l’« exécution ne peut être différée ».
Quand on parle des travailleur-euses saisonniers, on parle de plus de 800 000 personnes. Loin de l’image courante du job d’été agréable, le travail saisonnier concerne aujourd’hui de nombreuses populations précaires et est souvent l’occasion d’abus qu’il faut faire cesser. Pour ces contrats, on retrouve notamment des jeunes qui veulent payer leurs études, des retraité-e-s qui doivent compléter leur faible pension, des seniors licenciée- s qui n’arrivent pas à retrouver un emploi, des femmes avec des périodes d’inactivité forcée, des travailleur-euses migrant-es soumi-es à des situations d’esclavage moderne, et des chômeur-euses de longue durée…
Ces salarié-es sont bien souvent les plus éloigné-es des organisations syndicales et les moins informé-es de leurs droits d’où la nécessité de diffuser largement ce guide qui contient de nombreuses bases juridiques. Le guide est en accès libre sur le site de Solidaires (solidaires.org).
Ce guide fait un lien avec notre action syndicale menée l’an dernier pendant la période des vendanges, il est un outil pour faire cesser les abus. Il faut le faire circuler au plus grand nombre. D’ailleurs, les récoltes viticoles vont démarrer dans le département d’ici une petite quinzaine de jours, nous allons donc veiller pour réagir immédiatement pour que le chaos de l’an dernier ne se reproduise pas !
Les vendanges seront un point chaud de cette rentrée pour Solidaires 21.
L’Union syndicale Solidaires appelle à se réunir sur les lieux de travail, à se syndiquer et à préparer la mobilisation pour des revendications d’urgence, comme :
- l’abrogation de la réforme des retraites,
- l’augmentation des salaires dans le public comme dans le privé, avec un SMIC à 2000 euros nets,
- la défense, l’accès et le développement des services publics de qualité partout sur le territoire.
Pensez-vous vraiment que les salariés sont aujourd’hui prêts à se mobiliser en masse pour gagner sur ces revendications ?
Ce qui est très clair et sans débat, c’est que ces revendications répondent au souhait de l’écrasante majorité des travailleuses et des travailleurs ! Ce qui est sur aussi c’est que la période politique trouble que nous vivons entrave, pour le moment, un peu l’action syndicale.
Maintenant, le rôle de notre organisation syndicale c’est de donner de la force aux salarié-e-s pour gagner ces revendications et enfin obtenir de nouveaux droits sociaux après deux décennies de constantes dégradations. De construire avec elles et eux, une mobilisation qui ne pourra pas être méprisée et humiliée.
Nous devons porter l’optimisme de la volonté car oui c’est possible ! Ça peut faire peur de se mobiliser mais clairement gagner c’est possible, encore plus dans la période actuelle où l’Assemblée Nationale est éclatée en mille morceaux ! Mais pour cela, notre syndicat et les autres doivent faire leur boulot, à savoir mettre les travailleuses et travailleurs en position de conquête sociale ! Car ce n’est pas la bonne idée ou la bonne raison qui participent à un mouvement social et à ses victoires mais bien les individus !
Notre syndicat, bien que modeste, doit engager toutes ses forces dans la construction d’une mobilisation massive et inarrêtable. Et en cette rentrée, c’est l’ambition que nous portons et que nous allons déployer au maximum !
A ce propos, que pensez-vous de l’annonce par plusieurs syndicats (dont la CGT ou Solidaires) d’une journée de grève le mardi 1er octobre sur ces revendications-là ?
En toute honnêteté, à Solidaires 21 nous n’apprécions pas ces dates de grève sorties du chapeau par les centrales syndicales et qui ne donnent aucune autre perspective que leur propre réalisation. Nous regrettons un peu cette annonce extrêmement mollassonne. La population est en colère et en souffrance, il faut hausser le curseur, sortir de la stratégie perdante de la dernière lutte des retraites !
Après, on peut retourner la chose et se dire qu’il y a un mois pour créer un mouvement social d’importance qui doit être en capacité de déborder la seule date du 1er octobre pour enclencher une grève longue et dure, car la solution pour gagner c’est celle-ci et rien d’autre ! L’enjeu est donc de faire que cette date éloignée et isolée devienne le point de départ d’un mouvement social fort et victorieux. Nous allons nous atteler à la tâche car il va falloir convaincre et se battre !
Environ 5 millions de salarié·es des TPE (très petites entreprises) seront appelés à voter du 25 novembre au 9 décembre prochain. Comment comptez-vous aborder ces élections, qui sont un enjeu important pour votre syndicat ?
D’abord, nous vous remercions d’aborder ce sujet très important qui est la question du salariat et des droits dans les TPE mais aussi les TPA (très petites associations). Si nous disons cela, c’est que dans la centaine de salarié-e-s que nous accompagnons chaque année dans la résolution de conflit face aux employeurs, une partie importante provient des TPE et des TPA.
Il faut rappeler aux salarié-e-s qu’ils peuvent se syndiquer même s’ils travaillent dans TPE et des TPA et que les droits sont les mêmes qu’ailleurs, il y a un réel enjeu à syndicalisation massive dans ces entreprises ou associations !
Evidemment, notre organisation syndicale va s’impliquer fortement dans ces élections. Du matériel est en préparation pour faire connaitre nos idées, notre vision et nos positionnements. Comme lors des dernières élections TPE/TPA, nous allons tenir des points d’information sur les différents marchés du département et dans les rues de Dijon car bien souvent ces élections sont méconnues. Après, nous ne leurrons pas, rien n’est fait par les pouvoirs publics pour que ces élections soient connues par les salarié-e-s et la participation est donc extrêmement faible.
De toute façon, nous voyons surtout ce temps électoral comme l’opportunité de faire connaitre les différents syndicats SUD/SOLIDAIRES et nos actions pour intensifier la syndicalisation. Une syndicalisation massive c’est la certitude évidente de faire plier le patronat et les gouvernements !
Est-il difficile aujourd’hui d’être co-secrétaire d’un syndicat tel que le vôtre au niveau départemental ? On sait que vos relations avec la préfecture n’ont pas toujours été faciles. Comment expliquez-vous ces relations difficiles avec la préfecture de Côte-d’Or ?
Nous ne comprenons pas pourquoi vous pensez cela ?! (rires) Plus sérieusement, il n’y a rien de difficile dans l’exercice d’un tel mandat, encore moins quand on porte une parole construite collectivement lors de nos différentes réunions. Surtout, c’est un acte volontaire d’exercer cette fonction et notre fonctionnement fait que nous évoluons dans le cadre d’une forme de mandat impératif. D’ailleurs, le bureau de Solidaires 21 a vu arriver dans l’été un nouveau camarade pour renforcer le travail de notre syndicat, cela prouve que ce n’est pas si difficile ou repoussant. La réelle difficulté dans l’exercice du mandat de co-secrétaire réside dans le fait qu’à ce jour, le bureau de Solidaires 21 est composée exclusivement de personnes qui travaillent à temps complets (et donc sans décharge syndicale) et qui sont en plus souvent impliquées dans leurs entreprises ou administrations. Nous mettons en place une répartition des rôles assez précise pour pouvoir tout mener de front sans bousiller nos vies personnelles. On espère que dans l’année à venir, une camarade puisse disposer d’un petit peu de temps de décharge syndical pour fluidifier notre action. Aussi, notre fonctionnement autogestionnaire fait qu’il n’y a pas que les camarades du « bureau » qui agissent et qui ont des rôles primordiaux, bien au contraire !
Concernant la Préfecture, que voulez-vous, il n’y a pas grand-chose à dire. Notre syndicat, comme d’autres ou comme les associations, est un contre-pouvoir en démocratie, il apparaît donc assez logique que la préfecture qui est à la fois le bras idéologique et répressif du pouvoir politique en place apprécie peu notre organisation. D’une certaine manière c’est même plutôt rassurant quant à l’action que nous menons, ne croyez-vous pas ?
On verra donc si notre organisation syndicale aura de meilleures relations avec un prochain préfet ou une prochaine préfète mais cela n’est guère important pour nous. Ce qui est sûr c’est que les « recadrages » préfectoraux ne changeront d’aucune manière notre action.
Si nous devions nous syndiquer, pourquoi devrions-nous choisir Solidaires et pas un autre syndicat, selon vous ?
Déjà, nous souhaitons que la population se syndique plus et se rende compte du pouvoir que peuvent et doivent être les syndicats. Donc la priorité c’est de dire aux gens, syndiquez-vous ! Ensuite, c’est de dire, syndiquez-vous dans un syndicat de classe qui n’est pas aux bottes du patronat, les syndicats SUD/Solidaires sont des syndicats de combat sans la moindre compromission !
Rappelons que Solidaires et donc Solidaires 21 est une union de différents syndicats présents dans différents secteurs (privé et public) qui prônent des valeurs autogestionnaires, féministes, antiracistes et écologistes. Enfin, Solidaires est une union syndicale relativement jeune (25 ans) qui pratique un syndicat de transformation sociale et donc le fonctionnement n’est pas sclérosé ! Toute personne adhérente aux valeurs du syndicat est la bienvenue, clairement. Nous disons aux salarié-e-s, ne râlez pas sur les syndicats mais au contraire syndiquez-vous, impliquez-vous pour les faire évoluer et participer à la conquête de nouveaux droits sociaux !
L’Union Syndicale Solidaires 21 dispose d’un site internet : https://solidaires.org/se-syndiquer/les-solidaires-locaux/solidaires-cote-dor-21/. Vous pouvez aussi suivre le syndicat sur Facebook ici.