Les révélations sur les comportements abusifs de l’abbé Pierre, longtemps figure emblématique de la lutte contre la pauvreté, continuent de secouer l’opinion publique. Selon Radio France, des accusations remontant à 1955 font état de comportements déplacés et de violences sexuelles commises par l’abbé, étouffées pendant des décennies. L’homme d’Église, à la réputation jusqu’alors immaculée, aurait non seulement nié ces accusations, mais aussi menacé ses dénonciateurs.
Des plaintes étouffées depuis 1955
Radio France a dévoilé des courriers dans lesquels des personnes dénonçaient les agissements de l’abbé Pierre dès les années 1950. Un des documents les plus marquants date de 1955, où un étudiant américain, impliqué dans l’organisation d’un séjour de l’abbé Pierre aux États-Unis, fait état des plaintes de plusieurs femmes. La réponse de l’abbé Pierre est cinglante : il menace directement son interlocuteur de représailles, évoquant des « réponses brutales, chirurgicales » en cas de récidive de telles accusations.
Un schéma similaire se répète en 1959 au Québec, où l’abbé menace à nouveau ceux qui osent rapporter ses comportements abusifs, allant jusqu’à évoquer des poursuites judiciaires. Malgré ces alertes, les affaires sont systématiquement étouffées, et l’abbé Pierre est interné en 1957 « pour raisons de santé » dans une clinique en Suisse, sous surveillance d’un « assistant ».
Une figure intouchable protégée par l’Église
L’Église catholique elle-même a contribué à protéger la réputation de l’abbé Pierre, malgré les accusations qui s’accumulaient. Une lettre datée de 1981, retrouvée dans les archives du diocèse de Grenoble-Vienne, révèle une agression survenue en Belgique. Monseigneur Jean-Marc Eychenne, évêque de Grenoble, souligne la difficulté de remettre en cause l’image de l’abbé Pierre, devenu une figure quasi intouchable, notamment en raison de son passé héroïque dans la Résistance et son engagement pour les plus démunis.
La hiérarchie ecclésiastique elle-même a conseillé à plusieurs reprises de ne pas honorer l’abbé Pierre de distinctions officielles, soulignant que le silence autour de sa personne était préférable. Une correspondance de 1958 entre le ministre Edmond Michelet et l’archevêque de Paris démontre cette volonté de minimiser les risques pour l’image publique du religieux.
Emmaüs face aux victimes et à son passé
Face à ces révélations choquantes, Emmaüs International réfléchit désormais à une forme d’indemnisation pour les victimes de l’abbé Pierre. Adrien Chaboche, directeur général de l’organisation, a déclaré ce lundi que cette question est en cours d’examen, bien qu’elle prenne du temps à être traitée. Le mouvement Emmaüs a également pris plusieurs mesures radicales, notamment la fermeture définitive du centre mémoriel consacré à l’abbé Pierre à Esteville, en Seine-Maritime.
Le rapport publié vendredi par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) a mis en lumière 17 nouvelles accusations, certaines concernant des mineures et évoquant pour la première fois des faits pouvant être qualifiés de viols. Ce rapport a été commandé conjointement par Emmaüs et la Fondation Abbé Pierre, qui ont réaffirmé leur soutien total aux victimes.
Ces révélations dressent un portrait glaçant de l’abbé Pierre, dont l’image publique de sainteté et d’humanité contraste désormais avec celle d’un prédateur sexuel. Les affaires continuent de surgir, et il est probable que d’autres témoignages viendront encore complexifier cet héritage déjà lourd de contradictions.