Dans la commune viticole de Morey-Saint-Denis, au cœur de la Côte-d’Or, un projet novateur émerge pour résoudre l’un des plus grands défis auxquels font face les exploitations viticoles durant la période des vendanges : l’hébergement des travailleurs saisonniers. Ce projet, baptisé “Village Vendangeur“, est dirigé par Samuel Lenoir, propriétaire du domaine agricole et du centre équestre Mountain Farm. Fortement soutenu par les institutions locales et nationales, ce village a pour ambition d’améliorer les conditions de vie des vendangeurs tout en répondant aux besoins logistiques des domaines viticoles environnants.
Contexte des vendanges en Bourgogne : un besoin crucial d’hébergement
Les vendanges en Bourgogne sont une période particulièrement intense et décisive pour les producteurs de vin. Elles nécessitent une main-d’œuvre considérable, surtout dans une région où la récolte reste en grande partie manuelle. Chaque année, en Côte-d’Or seulement, ce sont près de 20 000 saisonniers qui viennent prêter main-forte aux 4 500 vignerons de la région. À l’échelle de la Bourgogne, ce chiffre grimpe à 45 000 saisonniers, faisant de cette période un véritable défi logistique.
Outre la question du recrutement de la main-d’œuvre, l’un des principaux problèmes rencontrés par les exploitations viticoles est celui de l’hébergement des travailleurs. Les vendangeurs, souvent venus de loin, doivent être logés dans des conditions décentes, ce qui n’a pas toujours été le cas par le passé. En 2022, des conditions d’hébergement déplorables avaient été signalées, révélant des pratiques proches de l’exploitation inhumaine, voire de la « traite d’êtres humains », selon certains observateurs. Récemment encore, 70 personnes, logées dans des conditions indignes dans deux maisons, ont dû être relogées en urgence par la préfecture. Ces incidents ont provoqué un véritable tollé, incitant les autorités locales et les acteurs de la filière viticole à prendre des mesures strictes pour éviter que de telles situations ne se reproduisent.
C’est dans ce contexte que Samuel Lenoir, en collaboration avec plusieurs partenaires institutionnels et privés, a lancé l’initiative du Village Vendangeur. Ce projet, qui a vu le jour pour la première fois en 2023, se présente, selon les acteurs du projet, comme une solution d’hébergement temporaire et adaptée pour les travailleurs saisonniers. Dès sa première année, il a rencontré un succès notable, avec près de 1 500 nuitées comptabilisées entre le 11 et le 26 septembre, accueillant en moyenne 60 saisonniers par soir, avec des pics de fréquentation atteignant 80 personnes.
Le Village Vendangeur : une solution concrète et évolutive
Pour la seconde année consécutive, le Village Vendangeur a ouvert ses portes à Morey-Saint-Denis du 10 septembre à la mi-octobre 2024, avec plusieurs améliorations significatives par rapport à sa première édition. L’initiative bénéficie du soutien de l’État, qui a apporté un appui financier de 100 000 € pour les vendanges de 2024, ainsi que de la Confédération des Appellations et des Vignerons de Bourgogne (CAVB), de la Fédération des Négociants-Éleveurs de Grande Bourgogne (FNEB) et des communes de Chambolle-Musigny, Gevrey-Chambertin et Morey-Saint-Denis.
Les améliorations apportées en 2024 visent à répondre aux besoins croissants des vendangeurs et à offrir des conditions d’hébergement encore plus dignes et confortables. Parmi les principales nouveautés figure l’ajout d’espaces supplémentaires pour les tentes et les camions aménagés, disponibles à un tarif abordable de 8 € par nuitée. De plus, quatre modules en dur ont été installés, chacun capable d’accueillir deux personnes, pour offrir un hébergement plus confortable, proposé au tarif de 20 € la nuitée. Ces modules, conçus pour être durables, permettent d’offrir une solution d’hébergement plus stable et mieux adaptée aux besoins des travailleurs, notamment en cas de mauvais temps.
L’une des ambitions du projet est de continuer à augmenter la capacité d’accueil du village dans les années à venir. Dès 2025, Samuel Lenoir prévoit ainsi d’étendre l’offre d’hébergement en dur, avec la création de 24 nouvelles places, répondant à la forte demande des saisonniers.
Des infrastructures adaptées, mais des critiques subsistent
Le Village Vendangeur s’étend sur un terrain de 150 hectares, offrant aux vendangeurs un cadre agréable et bien équipé. Les infrastructures mises à disposition comprennent notamment des blocs sanitaires avec six douches à eau chaude, ainsi qu’une infirmerie pour les premiers soins. Ces infrastructures, bien que fonctionnelles, ne sont pas exemptes de critiques. Certains vendangeurs regrettent que le nombre de douches soit insuffisant au regard de la fréquentation du site. « Douze douches pour 110 personnes, ce n’est pas assez », déplore un vendangeur.
Conscient de ces limitations, Samuel Lenoir explique que la question des infrastructures est un défi complexe. « C’était déjà le cas l’année dernière. Le problème, c’est que nous avons énormément de demandes. Nous cherchons encore notre rythme de croisière. Les sanitaires coûtent très cher à la location, et la période des vendanges est incertaine. Quand vous louez des sanitaires à 12 000 euros pour le mois, chaque journée compte », explique-t-il. C’est pourquoi Samuel Lenoir a décidé d’investir dans l’acquisition de modules sanitaires permanents, afin de ne plus être tributaire des périodes de location.
Un approvisionnement en eau potable complexe
Un autre défi logistique auquel Samuel Lenoir doit faire face est l’approvisionnement en eau potable. Le site du Village Vendangeur n’étant pas directement raccordé au réseau d’eau potable, il doit être alimenté quotidiennement par des citernes. Chaque jour, 8 000 litres d’eau potable sont transportés depuis le village voisin pour subvenir aux besoins des vendangeurs. En parallèle, des palettes d’eau en bouteille sont mises gratuitement à la disposition des travailleurs, ce qui, selon Samuel Lenoir, permet à chacun de se servir autant qu’il le souhaite.
La sécurité au cœur des préoccupations
Outre les questions d’hébergement et d’approvisionnement, la sécurité des vendangeurs est également une priorité pour Samuel Lenoir et ses partenaires. Pour la première fois en 2024, un poste de secours itinérant a été mis en place en collaboration avec la Prévention Civile de Côte-d’Or, la MSA et les professionnels de la viticulture. Ce dispositif permet à deux secouristes de se déplacer directement sur les sites de vendanges en voiture pour fournir des premiers secours en cas de blessures, malaises ou piqûres d’insectes.
En complément, une société de gardiennage assure la sécurité du site entre 20 h et 6 h. Ce dispositif de sécurité, bien qu’apprécié par la majorité des vendangeurs, suscite également quelques critiques. Certains travailleurs regrettent en effet que les mesures de contrôle soient trop strictes, notamment l’obligation de porter un bracelet d’identification et de disposer d’un macaron pour entrer en voiture sur le site. « On ne peut même pas faire venir des amis pour boire un verre ou autre », déplore un vendangeur.
Face à ces critiques, Samuel Lenoir reste ferme : « Certains se plaignent, mais la grande majorité comprend. Nous avons une centaine de personnes sur le site, venant de tous horizons. Il ne faut pas que cela devienne un festival. Ce sont des travailleurs, ils passent huit heures par jour dans les vignes. Si nous acceptons que des gens viennent faire la fête, cela deviendrait ingérable. »
Des efforts constants pour améliorer les conditions de vie
Malgré les critiques, le Village Vendangeur représente une avancée majeure dans la gestion de l’hébergement des travailleurs saisonniers en Bourgogne. La demande est telle que Samuel Lenoir doit refuser entre 20 et 30 personnes par jour, signe de l’importance et du succès de cette initiative.
Le projet, bien que perfectible, témoigne d’une réelle volonté d’améliorer les conditions de travail et de vie des vendangeurs. En investissant dans des infrastructures durables et en mettant en place des services essentiels comme le poste de secours itinérant ou le gardiennage, Samuel Lenoir et ses partenaires espèrent répondre aux critiques tout en assurant la sécurité et le bien-être des travailleurs.
Perspectives d’avenir pour le Village Vendangeur
Le Village Vendangeur, encore en phase de développement, a un avenir prometteur. Avec l’augmentation prévue de sa capacité d’accueil et les améliorations constantes apportées à ses infrastructures, ce projet pourrait bien devenir un modèle pour l’hébergement des travailleurs saisonniers en France. En parallèle, Samuel Lenoir envisage d’ouvrir le site à d’autres types de travailleurs saisonniers en dehors de la période des vendanges, permettant ainsi de maximiser l’utilisation des infrastructures tout au long de l’année.
Bien que certaines améliorations soient encore nécessaires, le Village Vendangeur de Morey-Saint-Denis constitue une solution innovante et ambitieuse aux défis posés par l’hébergement des travailleurs saisonniers en Bourgogne. Grâce à une collaboration étroite entre les acteurs locaux, l’État et les professionnels de la viticulture, ce projet promet de transformer durablement les conditions de vie des vendangeurs tout en assurant la pérennité du site.
D.D