Nous vous en parlions le 28 août dernier, et le verdict est finalement tombé ce matin devant le tribunal de police. Samantha Benarbia, militante du collectif DAA (Dijon Autonomie Antiraciste), a perdu son procès et se voit condamnée à payer 800 euros à la personne qu’elle accusait de diffamation.
Retour sur les faits
Pour rappel, tout a commencé le 1er juillet 2024, lorsque, sur la messagerie cryptée Signal, Samantha Benarbia échangeait avec d’autres militants. Elle rapporte : « Le 1er juillet 2024, j’ai proposé sur un des groupes que nous soyons plus nombreux pour faire du porte-à-porte avant le second tour des élections… L…. J…… m’a répondu : “On t’attendait hier en manif.” ». Selon Samantha Benarbia, l’échange est rapidement devenu stérile et conflictuel. Face à cette situation, elle a pris la décision de quitter les groupes de discussion.
Deux jours plus tard, le 3 juillet 2024, Samantha Benarbia dépose plainte. Elle explique : « Dans la soirée, j’ai été contactée par deux personnes nous prévenant de la suite de la discussion. Nous étions clairement nommées et visées, accusées d’être “pro-charia, pro-Hamas, pro-terroristes, sexistes, racistes, homophobes, antisémites”. Il a été écrit que nous traitions les gens “comme de la merde”, que nous organisions des manifestations sans y participer, et que nous dénigrions les autres collectifs à Dijon, ce qui est totalement faux et contraire à mes engagements.»
Selon Samantha, ces accusations allaient au-delà de la simple diffamation : elles risquaient de compromettre son avenir professionnel, notamment son rôle bénévole à l’antenne de Diversité FM, où elle était sur le point d’être employée. « Ces propos me portent préjudice dans le sens où je suis bénévole à l’antenne Diversité FM, et que je suis en passe d’y travailler en tant qu’employée. Et cela, T….. le sait. », a-t-elle ajouté dans sa plainte.
Un procès mal accueilli dans le milieu militant
Samantha Benarbia est membre du DAA, un collectif antiraciste revendiquant la lutte contre le colonialisme et pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens. Cependant, en portant cette affaire devant les tribunaux, elle s’est retrouvée isolée et critiquée par une partie des militants. En effet, dans les milieux militants dijonnais, cette plainte a été perçue comme une véritable trahison. Pour beaucoup, le recours à la justice est considéré comme incompatible avec les valeurs de solidarité et de résolution interne des conflits que prônent les collectifs.
L’avocate Laure Abramowitch, qui représentait Samantha Benarbia, a expliqué que l’un des collectifs visés par la militante, « La Bande Noire », est un groupe libertaire et révolutionnaire, agissant souvent à visage masqué pour protéger l’identité de ses membres. Pour les militants que nous avons rencontrés, la plainte de Benarbia risquait de révéler l’identité de certains membres de « La Bande Noire » aux autorités, ce qui a été très mal perçu.
« Le DAA a souvent craché sur les flics, et maintenant ils vont les voir pour donner le nom d’un militant ? Franchement, tout cela pour une discussion qui a mal tourné dans un groupe privé, ce n’est vraiment pas terrible ! », nous confiait un militant, visiblement exaspéré par la situation.
Un jugement tranchant : une condamnation et des erreurs de procédure
Le verdict a été rendu sans équivoque : Samantha Benarbia a été condamnée à payer 800 euros – sur le fondement de l’article 800-2 du Code de procédure pénale – à la personne qu’elle accusait . Le tribunal a relevé plusieurs erreurs dans la procédure de Samantha Benarbia. Notamment, il a été observé que cette dernière avait élu domicile au cabinet de son avocate, soit dans une ville autre que celle où siégeait la juridiction, ce qui constituait une irrégularité majeure.
L’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 impose que l’élection de domicile soit faite dans la même ville que celle où siège la juridiction. En élisant domicile à Chenôve, et non à Dijon où se situait le tribunal, Samantha Benarbia a vu sa poursuite annulée pour vice de forme. Cette irrégularité, ajoutée à des preuves considérées comme peu fiables par la défense, a entraîné la nullité de la poursuite. Les captures d’écran présentées comme éléments probants n’étaient pas accompagnées de vérifications techniques suffisantes permettant de garantir leur authenticité.
L’avocat de la défense, Maître Jean-Baptiste Gavignet, n’a pas manqué de rappeler les lacunes des preuves présentées. En effet, les impressions d’écran issues de discussions sur Signal ne comportaient aucune garantie quant à la fiabilité de leur contenu ou leur date, rendant ainsi l’accusation trop fragile pour être retenue. La jurisprudence a été rappelée à plusieurs reprises : des captures d’écran sans constat d’huissier ou vérification technique ne peuvent servir de preuve incontestable.
Les répercussions dans le milieu militant
Cette défaite judiciaire n’est pas la seule conséquence pour Samantha Benarbia. La condamnation pourrait raviver des tensions au sein du milieu militant dijonnais. De nombreux militants voient cette affaire comme une atteinte aux principes d’autonomie et de solidarité. La divulgation d’informations personnelles et l’implication des autorités ont été perçues comme un acte de trahison.
« Samantha Benarbia, avec cette procédure, a tout simplement balancé des noms sur la place publique ! Elle ne représente qu’elle-même, et tout le milieu militant sait désormais ce qu’elle a fait ! », a déclaré un militant préférant rester anonyme. Pour ces militants, les valeurs antirépressives du DAA ont été entachées par cette action, et la militante a dépassé les bornes en utilisant la justice d’État pour régler un conflit interne.
Certains militants se disent inquiets des conséquences à long terme pour les collectifs et la cohésion du mouvement à Dijon. La méfiance semble être de mise vis-à-vis de Samantha Benarbia, qui pourrait voir sa légitimité mise en question au sein des collectifs où elle s’était investie. Pour ces collectifs, la priorité est de maintenir une unité face aux difficultés, sans recourir aux institutions que beaucoup considèrent comme répressives.
Pour Samantha Benarbia, l’avenir semble incertain. Elle devra répondre de sa condamnation et, plus difficile encore, reconstruire la confiance qu’elle a perdue au sein des collectifs militants dijonnais. Une triste journée pour la militante, qui se retrouve aujourd’hui face aux conséquences de choix qui n’auront été appréciés ni par la justice, ni par ses camarades de lutte.