Il y a six ans, le 17 novembre 2018, la France a été témoin de la première manifestation des Gilets Jaunes. Ce mouvement, né d’une colère populaire face à l’augmentation du prix des carburants, a rapidement dépassé ses origines pour devenir le symbole d’une contestation plus large contre les inégalités sociales, fiscales et territoriales. Pendant plusieurs mois, la France a été secouée par des actions et des manifestations, ébranlant le président Emmanuel Macron et son gouvernement. Aujourd’hui, l’écho de cette contestation résonne encore.
Dès sa formation, le mouvement des Gilets Jaunes a frappé par sa grande diversité. La colère exprimée transcendait les étiquettes politiques traditionnelles, unissant des individus issus des classes populaires et moyennes, souvent vivant en milieu rural ou dans des villes moyennes, se sentant mis à l’écart de la mondialisation. Une étude de janvier 2019, menée par l’Institut d’études politiques de Grenoble et publiée par Le Monde, a montré que 68 % des Gilets Jaunes appartenaient à des ménages dont le revenu mensuel était inférieur au revenu médian en France (2 480 euros). Près de 17 % des participants avaient un revenu de moins de 1 136 euros par mois, soulignant la précarité économique de nombreux manifestants.
Ces réalités économiques étaient au cœur de leurs revendications. Si les Gilets Jaunes se sont d’abord mobilisés contre la hausse des prix des carburants, ils ont rapidement élargi leur combat à la lutte contre l’augmentation des taxes et les inégalités croissantes. Cette mobilisation n’était pas simplement une contestation économique, mais un cri de colère contre une élites jugée déconnectée et méprisante. Rejetant les partis politiques traditionnels, les Gilets Jaunes ont exprimé une profonde défiance envers les gouvernants, estimant que la démocratie ne fonctionnait pas bien et qu’ils étaient incompris par la classe politique.
Ce mouvement a aussi été marqué par la violence, à l’image de la manifestation du 1er décembre 2018 à Dijon, où des véhicules ont été incendiés. Les tensions étaient palpables, les échanges houleux, et les épisodes de confrontation avec les forces de l’ordre ont laissé des traces dans l’imaginaire collectif. Le mouvement a fini par s’éteindre progressivement, mais chaque année, le 17 novembre demeure une date particulièrement surveillée par les autorités, qui craignent la réémergence de cette contestation imprévisible.
Depuis le 15 novembre 2024, les appels à une nouvelle mobilisation se multiplient sur les réseaux sociaux, tentant de s’appuyer sur la colère des agriculteurs, qui prévoient eux aussi une reprise des actions. D’après Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et stratégies de l’IFOP, des « ingrédients existent » pour que la contestation s’enflamme à nouveau, mais il manque encore un « déclencheur » qui pourrait raviver l’étincelle de la colère sociale.
Emmanuel Macron, de son côté, voit sa popularité atteinte des records d’impopularité. Selon un récent sondage Ifop, seuls 25 % des Français interrogés lui apportent leur soutien. Un chiffre qui n’avait pas été aussi bas depuis la crise des Gilets Jaunes de 2018. Aujourd’hui, la France semble de nouveau plongée dans une situation où se mêlent une crise sociale aiguë et une crise politique profonde. Les élections ont donné un gouvernement de droite sans majorité claire à l’Assemblée nationale, ce qui complique la gestion de la situation actuelle.
La question est posée : les syndicats, qui semblent avoir les clés en main, seront-ils capables d’incarner et de cristalliser cette colère sociale ? Les Gilets Jaunes avaient surgi parce que les organisations syndicales n’étaient pas en mesure de canaliser la frustration de la population. Il est crucial de se souvenir de cela. La colère est bien présente en France, même six ans après, et continue de ronger une partie de la population. Mais nul ne sait encore comment cette colère va s’exprimer, ni si elle prendra de nouveau la forme d’un mouvement social aussi puissant et imprévisible que celui des Gilets Jaunes.
Le spectre de la contestation sociale plane toujours, et Michel Barnier, comme les autres dirigeants politiques, devra composer avec cette grogne sociale qui pourrait, une fois de plus, exploser de manière imprévisible. Après tout, l’histoire nous a démontré que sous les apparences de l’apathie peut couver une énergie insurrectionnelle prête à jaillir.
Pour l’instant, il ne reste qu’à observer et à espérer que les leçons tirées du passé permettront d’éviter une nouvelle explosion de colère. Mais une chose est sûre : les cicatrices laissées par les Gilets Jaunes sont encore bien visibles, et la colère populaire reste latente, en attente d’un élément déclencheur qui pourrait tout faire basculer.
F. Bauduin