Suite à l’incendie qui s’est produit le mercredi 29 janvier 2025 au matin, dans le quartier libre des Lentillères, Antoine Hoareau, premier adjoint à la ville de Dijon et vice-président du Centre Communal d’Action Sociale (CCAS), a accepté de répondre à nos questions.
Que s’est-il passé sur le quartier libre des Lentillères ? Qu’avez-vous constaté sur place ? Antoine Hoareau nous répond : « Ce matin (le mercredi 29 janvier 2025), il y a eu un incendie dans un des bâtiments qui est squatté au sein du quartier soi-disant libre des Lentillères. Heureusement, il n’y a pas de victime. Nous avons pris en charge deux personnes qui ont été directement impactées par l’incendie.
Sur ces deux personnes, l’une a été relogée ce soir au CRI (Centre de Rencontres Internationales) et va pouvoir être mise à l’abri avec un accompagnement social. Nous nous sommes rendu compte qu’il s’agissait de quelqu’un qui n’avait absolument aucun droit ouvert. Ainsi, avec l’assistante sociale du CCAS, nous avons pu travailler pour le domicilier au CCAS, faire un point complet sur sa situation et ouvrir ses droits.
Quant à la deuxième personne, elle n’a pas souhaité être accompagnée. Nous lui avons donc fourni une trousse de première nécessité, des vêtements mis à disposition par le TEMPO, puis elle a souhaité repartir. Malheureusement, elle n’a pas voulu entrer dans un dispositif d’accompagnement. »
Puis il ajoute : « Moi, ce que j’ai constaté sur place, c’est une situation, je vous le dis franchement, à laquelle je ne m’attendais pas ! C’est en fait l’envers du décor du quartier des Lentillères. On nous explique qu’il y a des jardins bucoliques, c’est sûrement vrai, mais il y a aussi toute une partie où des personnes sont logées dans des conditions absolument indignes !
Il y a un bâtiment qui a été détruit par le feu, un second bâtiment qui a été un peu impacté à côté. Je suis rentré pour aller discuter avec les résidents de ce bâtiment, et c’est au-delà de l’entendable ! J’aurais presque envie de dire que, dans une société comme la nôtre, même nos animaux sont mieux traités ! On a des gens qui vivent à même le sol, sur des tapis, dans des pièces dans un état absolument déplorable ! On voit la laine de verre à travers des plaques de placo cassées.
Quand on propose à ces personnes d’entrer dans un dispositif d’accompagnement très vite, il y a des militants locaux, qui étaient en présence quasiment constante à mes côtés, pour surveiller ce que je disais, et surtout pour expliquer qu’ils n’avaient pas besoin d’être accompagnés ! Et je trouve cela absolument inadmissible.
À côté des espaces où ces personnes survivent – je ne vais pas dire « vivent », mais bien « survivent » –, vous avez une sorte de décharge à ciel ouvert, avec des immondices et des tonnes de déchets. Donc, quand on prétend défendre l’environnement, et quand on prétend être des maraîchers et des jardiniers, je n’imagine pas la quantité de pollution qui doit s’infiltrer dans le sol à chaque pluie, quand on voit les immondices stockées dans cette partie, qui, bien sûr, n’est probablement jamais ouverte au public lors des fameuses journées portes ouvertes du quartier libre des Lentillères.
Et donc, à l’occasion de cet incendie, nous avons découvert l’envers du décor, et franchement, ce n’est pas beau à voir ! »
Nous lui demandons alors : « Que compte faire la mairie de Dijon ? Car on a senti une forte colère dans votre communiqué de presse. » Le premier adjoint à la ville de Dijon nous répondra : « Bien sûr qu’il y a de la colère, parce que c’est au-delà de l’indignation, c’est insupportable de voir des êtres humains vivre dans ces conditions-là !
Nous sommes dans une posture et une dynamique de dialogue, nous l’avons toujours dit ! Et madame la maire le redit : même si le dialogue est dur, mon collègue Philippe Lemanceau a participé à beaucoup de réunions. Nous sommes dans une dynamique de dialogue, et moi, ce que je souhaiterais, c’est que, déjà, à très court terme, les travailleurs sociaux du CCAS puissent aller rencontrer toutes ces personnes qui vivent dans ces conditions indignes pour faire des évaluations sociales et voir si l’on peut les aider et les sortir de la misère dans laquelle elles vivent. Ce n’est pas du misérabilisme, hein, on est bien dans une situation de précarité, de très grande précarité et d’inhumanité.
Donc, il faut que les travailleurs sociaux puissent y avoir accès. Pour cela, il faut qu’il y ait des garanties de la part des occupants illégaux du site, afin que les travailleurs sociaux puissent travailler en totale liberté, ce qui, manifestement, au regard de ce que j’ai vu ce matin, n’est clairement pas garanti ! D’ailleurs, ce matin, les entretiens d’évaluation et l’accompagnement social que nous avons mis en place pour les victimes de l’incendie ne se sont pas faits sur place. Nous avons ouvert une salle de la résidence Abrioux pour pouvoir les extraire du lieu et discuter directement avec elles.
Ma première réaction, c’est donc cela : il faut d’abord s’occuper de l’humain, des personnes qui vivent dans ces conditions-là ! Mais encore faut-il que les militants présents sur le site laissent les services publics faire leur travail. Ce que j’ai remarqué ce matin, ce sont des gens qui militent contre toute forme d’organisation étatique et qui étaient finalement bien contents de voir les pompiers, financés par les impôts et par les services publics, venir éteindre l’incendie ! Et aussi, de pouvoir compter sur les travailleurs sociaux financés par la collectivité – et donc par l’impôt des citoyens – pour venir en aide aux personnes en difficulté.
C’est toute la problématique et parfois l’incohérence de ce type de discours ou de militantisme. Moi, ma position est celle-là ! Je partage la position de madame la maire : il faut continuer à être dans le dialogue et toutes les personnes qui voudront entrer dans un processus d’accompagnement social seront accueillies et les bienvenues au CCAS pour le faire !
Quant à l’occupation illégale du site, c’est une occupation illégale ! Il doit donc y avoir une régularisation. Et ce que j’ai vu ce matin, clairement, ce n’est pas un beau jardin bucolique ! Alors bien sûr, il y a du maraîchage, bien sûr, il y a des petits jardins qui sont extrêmement jolis, mais il y a aussi toutes ces immondices et cette décharge. Et ça, ça doit être réglé par les occupants eux-mêmes ! »
Est-ce que la mairie envisage d’intervenir pour nettoyer le site ? La réponse d’Antoine Hoareau fut claire, nette et précise : « La problématique est toujours la même. Ce matin, les pompiers sont intervenus avec une protection policière, assurée par la police nationale et la police municipale. Il n’y a eu aucune menace, que les choses soient dites. Mais lorsqu’on entre sur un site comme celui-là, avec son passé, moi, je ne veux pas mettre en danger les agents de la mairie de Dijon, les agents de la propreté de la mairie de Dijon.
Et puis, j’estime que la cinquantaine ou quarantaine de personnes qui vivent sur place – ce matin, j’en ai vu quinze ou vingt – sont tout à fait en capacité de faire le ménage aussi devant chez eux ! Alors peut-être qu’ils ne veulent pas être des citoyens, et d’ailleurs, je pense même que la République n’est pas forcément un concept qu’ils ont en amitié !
Néanmoins, quand on voit la situation, s’il faut leur mettre à disposition des bennes pour qu’ils nettoient, il n’y a aucun souci, on le fera ! Mais je pense que c’est d’abord à eux de nettoyer, et que ce n’est pas à l’argent public de venir nettoyer un site qui a été dégradé depuis dix ans par une occupation illégale ! »
Sur les branchements illégaux, que comptez-vous faire ? Antoine Hoareau nous répondra : « L’incendie est très probablement d’origine électrique, parce que, évidemment, les installations sont à la fois illégales, mais aussi très vétustes.
Enedis est intervenue ce matin pour sécuriser le site. L’ensemble du quartier où les branchements sont légaux a été réalimenté en électricité, puisqu’il a été interrompu quelques heures le temps de l’intervention des pompiers.
Toutes les personnes qui ont un abonnement et qui sont abonnées au réseau électrique ont été remises en électricité. Celles qui n’ont pas d’abonnement ou de point de livraison légal n’ont pas été remises en électricité, et ne le seront pas ! »
Donc, les branchements illégaux ne sont, à l’heure qu’il est, plus alimentés en électricité ? « Je ne sais pas s’il y a encore des branchements illégaux ou non. Aujourd’hui, nous avons réalimenté, avec Enedis, les points de livraison qui sont des points de livraison légaux, avec des abonnés légaux sur le site des Lentillères. »
Puis nous demandons au premier adjoint à la ville de Dijon : « L’évacuation des occupants illégaux se fera-t-elle par la force ? » Celui-ci nous répondra : « Je ne souhaite pas la force, et personne ne souhaite qu’on en arrive là ! Personne ne souhaite la force, et encore moins la violence !
François Rebsamen et Nathalie Koenders ont pris un engagement extrêmement fort, qui est très coûteux pour la collectivité, de ne pas urbaniser ce secteur et de garantir le maintien des terres maraîchères du site ! C’est quand même, je pense, pour les Dijonnaises et Dijonnais qui entendent cela, la preuve de la volonté d’apaisement de la collectivité et des élus pour trouver une solution pacifique au site.
Mais il faut qu’en face, ça réponde aussi ! Je vais vous dire quelque chose de très fort, mais je le pense profondément : les interlocuteurs que nous avons, même ceux qui se présentent dans la presse comme porte-parole du collectif, ne donnent jamais leur nom de famille. Les prénoms changent systématiquement. Quand je vois ce que j’ai vu ce matin, je comprends leur anonymat, parce que je pense qu’ils ont un sentiment de honte ! Et en tout cas, si j’étais à leur place, je comprendrais qu’ils ne veuillent pas donner leur nom par rapport à la honte qu’ils doivent ressentir sur la manière dont ils font vivre certaines personnes sur le site !
Donc, la situation doit être pacifique, mais elle doit être légale ! On vit dans un État de droit. On peut ne pas être d’accord, mais c’est ainsi : la majorité a choisi un modèle qui s’appelle la République, qui est faite de droits et de devoirs, qui est faite de lois ! Et donc, celles et ceux qui sont contre ce modèle-là, qu’ils continuent à militer, à se présenter aux élections et à devenir majoritaires !
En l’occurrence, aujourd’hui, ce n’est pas la majorité qui souhaite le retrait de la République pour aller vers l’anarchie ! Donc, on vit dans un État de droit, et je souhaite qu’on arrive à une solution pacifique, comme l’a rappelé madame Koenders, la maire de Dijon, lorsqu’elle a été élue : une solution pacifique, mais légale. Et surtout, une solution qui permette de garantir la salubrité publique, la santé publique, l’hygiène publique et, surtout, l’humanité dans l’accompagnement des gens – ce qui, clairement, n’est pas le cas au regard de ce que j’ai vu ce matin ! »
D’après nos informations, le collectif du Quartier Libre des Lentillères devrait réagir prochainement par voie de presse. Cette interview a été réalisée le 29 janvier 2025 au soir, et les propos ont été recueillis par Fabien Bauduin.