En ce jeudi férié dédié à la Journée internationale des travailleurs, la manifestation organisée dans le centre-ville de Dijon a conjugué revendications sociales, solidarité internationale et présence politique. Moins fournie que l’an passé, la mobilisation n’en demeure pas moins révélatrice des fractures syndicales et des enjeux géopolitiques actuels.
À l’appel des syndicats CGT, FO, FSU et Solidaires – sans la CFDT cette année – la manifestation dijonnaise a rassemblé entre 1 500 personnes (selon la police) et 2 000 (selon la CGT). La participation était en baisse par rapport à 2024, qui avait réuni jusqu’à 2 500 manifestants. Le contexte des vacances scolaires a également réduit la présence du syndicat enseignant FSU. Quant à Force Ouvrière, sa mobilisation a été très faible, au grand étonnement des autres organisations syndicales.
Au niveau national, les chiffres du ministère de l’Intérieur montrent une dynamique tout autre : 157 000 manifestants ont été recensés, 300 000 selon la CGT, contre respectivement 121 000 et 200 000 en 2024.
Trois axes principaux structuraient les mots d’ordre : un cessez-le-feu dans la guerre Israël-Hamas, le rejet de « l’économie de guerre » promue par l’exécutif, et la défense des emplois locaux menacés.
En tête du cortège, les salariés du site Tetra Pak de Longvic, visés par un plan social, donnaient le ton. Derrière eux, un impressionnant drapeau palestinien flottait en fin de manifestation, rappelant la dimension internationale et pacifiste de cette édition.
Comme à l’accoutumée, la place Wilson s’est transformée en forum politique et syndical. Stands, camions sonorisés et distributions de tracts s’y sont multipliés. Le muguet, emblème du 1er Mai, a connu un vif succès, notamment au stand du Parti communiste français, surpassant les vendeurs ambulants. Des policiers eux-mêmes ont arboré quelques brins, illustrant l’ambiance pacifique du rassemblement.
Une gauche plurielle en ordre dispersé
La manifestation a aussi été l’occasion d’un large rassemblement politique. Les communistes, bien visibles avec Laurent Gutierrez en tête, faisaient face aux troupes de Lutte ouvrière autour de Claire Rocher. La France insoumise, renforcée par ses jeunes militants, marchait aux côtés des écologistes plus discrets, des socialistes et d’autres composantes de la gauche locale.
Nouvel acteur à gauche : l’APRES, fondée par des dissidents de LFI comme Clémentine Autain et Alexis Corbière, faisait ses premiers pas dans la rue, représentée en Côte-d’Or par Andrée Dejeu et Arnaud Guvenatam.
Des prises de parole syndicales critiques et engagées
Les interventions syndicales, bien que marquées par une certaine désorganisation – les prises de parole n’étant plus centralisées – ont témoigné d’un haut niveau de politisation.
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Safaa Jawad (CGT) a dénoncé la montée de l’extrême droite et « l’économie de guerre » qui attaque « les conquis sociaux ». Elle a plaidé pour une hausse des salaires bruts afin de soutenir à la fois le pouvoir d’achat et la Sécurité sociale, et exigé l’abrogation de la réforme des retraites à 64 ans. Elle a aussi insisté sur l’importance d’une solidarité internationale entre les travailleurs : « À l’inverse, les salariés, avec leurs syndicats, défendent la coopération et la solidarité concrète entre les travailleurs et les travailleuses du monde entier », a-t-elle affirmé, opposant ce modèle à « la concurrence entre salariés organisée par les détenteurs des multinationales ». « Le meilleur protectionnisme, c’est l’amélioration des droits sociaux et environnementaux », a-t-elle poursuivi, avant de dénoncer les logiques guerrières : « Alors que les guerres se propagent pour les profits de quelques-uns, la CGT appelle, partout sur la planète, les salariés à manifester pour défendre une paix juste et durable, non pas aux conditions des agresseurs mais dans le respect du droit international », a-t-elle déclaré, en référence à l’intervention d’Israël dans la bande de Gaza et à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Elle a également salué les luttes locales : « En France, dans de nombreuses entreprises, les salariés, avec la CGT, s’organisent, revendiquent, se mobilisent et obtiennent des augmentations de salaires plutôt que des primes occasionnelles non cotisées. Négocier des augmentations de salaire brut, c’est plus de cotisations sociales et donc de meilleures pensions de retraite – et c’est aussi plus de salaire net pour vivre de son travail. » -
Christine Bernery (FSU) a fustigé les dérives autoritaires, en France comme à l’international, affirmant que « l’économie de guerre est un prétexte à une guerre contre l’écologie, les libertés et les droits sociaux ».
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Théo Contis (Solidaires) a tenu un discours particulièrement dense et offensif : « Les riches sont de plus en plus riches tandis que nos salaires sont gelés, les prestations sociales diminuées. Tout ça, alors que les entreprises du CAC 40 ont réalisé plus de 130 milliards d’euros de bénéfices en 2024. Le gouvernement continue de vouloir faire les poches des travailleurs et travailleuses tout en coupant dans les budgets des services publics. Dans le même temps, les usines ferment ou licencient massivement – la Côte-d’Or est d’ailleurs frappée de plein fouet par ce désastre. Au nom de l’« économie de guerre », on explique aux salarié·e·s français·es et européen·ne·s qu’ils doivent faire des sacrifices, renoncer à leurs droits et aux services publics. À l’opposé, nous voulons réduire le temps de travail. Nous refusons de travailler jusqu’à 64 ans, nous continuons d’exiger l’abrogation de la réforme des retraites et nous refusons la capitalisation des pensions.
Malgré tout ce contexte, l’année a été traversée par une absence de mobilisation sociale significative, et nous ne pouvons que déplorer l’incapacité des centrales syndicales à hausser leur curseur pour lutter face à cette guerre sociale. C’est pour cela que, plus que jamais, nous invitons toutes les personnes à se syndiquer pour renforcer et dynamiser nos syndicats ! Dans ce contexte, la mobilisation prochaine des cheminotes et cheminots à l’appel de SUD-Rail et de la CGT cheminots est un véritable signe d’espoir ! Nous tenions ici à leur apporter notre plein soutien.
Par ailleurs, comme l’énonçait en son temps Jaurès : “Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage !” Il apparaît plus que jamais nécessaire de lutter contre le capitalisme. Le 1er Mai doit marquer une première étape pour reprendre l’offensive, toutes et tous ensemble. Enfin, nous tenions à évoquer le contexte raciste qui se développe intensément en France – entre les descentes des fachos dans des bars de plusieurs villes, et surtout l’atroce meurtre d’Aboubakhar Cissé en pleine mosquée. Et que décide de faire le sinistre de l’Intérieur, Retailleau ? Dissoudre la Jeune Garde et le collectif Urgence Palestine. Plus que jamais, nous allons devoir démontrer notre solidarité les unes avec les autres, dans les rues et dans les entreprises – et ça commence ce 1er Mai ! Soyons Solidaires ! Bonne manifestation ! » -
Jean-Pierre de Oliveira (FO), plus direct, a lancé : « Pas un sou, pas un homme, pas une arme pour la guerre », dénonçant l’instrumentalisation des syndicats et les milliards alloués à l’armement.
Symboles, slogans et tensions furtives
Le cortège a marqué plusieurs temps forts : la traversée spectaculaire de la place de la Libération par les salariés de Tetra Pak, l’exhibition du drapeau palestinien géant devant le palais des ducs de Bourgogne, et une brève échauffourée avec des black blocs rue de la Liberté, rapidement contenue.
Les slogans allaient du poétique – « Au printemps, fleurit la lutte » – au radical – « L’extrême droite est une mafia fasciste en col blanc ». Le Collectif Bourgogne-Franche-Comté pour l’abolition des armes nucléaires a également marqué les esprits avec un ballon rouge et jaune symbolisant la menace atomique.
Derniers discours, derniers messages
En fin de cortège, Claudine Véderine (Mouvement pour la Paix) a mis en garde contre les logiques de puissance imposées par les grandes nations, appelant à une architecture de sécurité commune incluant Russie et Ukraine.
Elle a également plaidé pour la reconnaissance de l’État palestinien, allant jusqu’à proposer « un État commun de la mer au Jourdain », avant de clore son discours sur un appel général à résister aux logiques guerrières.
Une manifestation calme malgré les tensions
Le cortège s’est dispersé dans le calme en fin d’après-midi. Malgré les divisions syndicales et quelques tensions, le message central de ce 1er Mai 2025 à Dijon reste celui d’une mobilisation pour la justice sociale, la paix internationale et le respect des droits fondamentaux. D’après le ministère de l’Intérieur, 72 personnes ont été interpellées dans toute la France, dont 52 à Paris. Vingt-huit personnes, dont 19 à Paris, ont été par ailleurs placées en garde à vue. Par ailleurs, 19 membres des forces de l’ordre ont été légèrement blessés, Bruno Retailleau faisant état de « six blessés légers, quatre gendarmes et deux policiers », à Paris.


































