En ce mercredi empreint d’émotion, la Ville de Dijon a rendu un vibrant hommage à deux nouvelles victimes de la Shoah, arrêtées puis déportées durant l’Occupation. Dans le cadre du projet des pavés de mémoire, deux nouvelles plaques commémoratives ont été dévoilées au 11 rue Buffon, en présence de Nathalie Koenders, maire de Dijon, accompagnée de Jean-Philippe Morel, adjoint en charge des anciens combattants, du devoir de mémoire, de l’engagement citoyen et de la défense nationale.
Ces deux nouveaux stolpersteine viennent s’ajouter aux 29 pavés déjà installés dans le centre-ville, portant à 31 le nombre total de ces témoignages gravés dans le sol dijonnais.
Des noms dans la pierre pour ne pas les effacer de la mémoire
Les pavés de mémoire – Stolpersteine en allemand – sont une initiative née dans les années 1990 sous l’impulsion de l’artiste Günter Demnig. Son objectif : inscrire dans l’espace public, à l’endroit même où vivaient les victimes du nazisme, leurs noms, leurs dates d’arrestation, de déportation et de mort, pour leur redonner une dignité et une présence là où elles furent arrachées à la vie.
Ce projet mémoriel est mené à Dijon avec l’aide des élèves du lycée international Charles de Gaulle, sous la direction de leur professeur d’histoire contemporaine, Dimitri Vouzelle. En retraçant les parcours des victimes, les élèves deviennent de véritables « passeurs de mémoire ».
« Ici, il y avait une vie » : le discours fort de Nathalie Koenders
Lors de la cérémonie, la maire de Dijon a prononcé une allocution empreinte de gravité, de compassion et d’engagement. Elle y a rappelé l’importance du souvenir, dans un contexte où les témoins directs de la Shoah deviennent de plus en plus rares : « La mémoire est une chaîne, précieuse mais fragile, que nous devons veiller à ne jamais rompre. »
Elle a évoqué les noms des 20 victimes désormais honorées dans les rues de Dijon : Wolf et Zysla Blankenberg, Malka Herckowicz, Léon Israël, Thérèse Katz, Herta Kohlmann, et bien d’autres. Des hommes, des femmes, des enfants, tous arrachés à leur existence entre juillet 1942 et mars 1944, au seul motif de leur religion ou de leur origine.
Dans une intervention aussi lucide que poignante, la maire a insisté sur le caractère indélébile des blessures infligées à l’humanité par le nazisme. Elle a également rappelé combien la vigilance reste d’actualité face à la résurgence de la haine et des actes antisémites en France et dans le monde.
« Chaque tentative visant à minimiser, déformer ou nier l’extermination planifiée d’un peuple tout entier alourdit le crime contre l’humanité du crime contre la vérité. »
Une dimension européenne et citoyenne
Avec plus de 85 000 pavés installés dans 25 pays, les Stolpersteine forment un vaste réseau de mémoire et de résistance à l’oubli, à travers l’Europe. Dijon s’inscrit dans cette démarche en faisant de la mémoire un acte citoyen, transmis aux jeunes générations.
Nathalie Koenders a salué le travail du professeur Dimitri Vouzelle et de ses élèves, dont le projet pédagogique dépasse les murs de la classe pour résonner dans l’espace public. Elle a également remercié les équipes du service de valorisation du patrimoine de la ville, et notamment Laurent Cessin, pour leur rôle dans l’installation des pavés.
ALLOCUTION DE NATHALIE KOENDERS, MAIRE DE DIJON
Mesdames, Messieurs,
Le 24 mai 2024, François Rebsamen dévoilait 11 pavés de mémoire, en souvenir des victimes de la rafle antisémite du 26 février 1942. Un an plus tard, et alors que nous venons de commémorer le 80ème anniversaire de la victoire de la France et des Alliés sur l’Allemagne nazie, nous perpétuons, sans relâche, le souvenir de celles et ceux qu’ « une haine étrangère à l’homme » – selon les mots de Primo Levi – destinait à l’oubli.
Aujourd’hui, 20 nouveaux noms pavent les rues de notre ville. Ces mêmes rues où résonnait, dans une nuit sans fin, le bruit cinglant des bottes de l’occupant et du régime collaborationniste de Vichy.
Ils s’appelaient :
Wolf Blankenberg • Zysla Blankenberg • Malka Herckowicz
Léon Israël • Thérèse Katz • Herta Kohlmann
Idel Lebensart • Manuel Lev • Edmond Michel
Irma Michel • Lilly Michel • Anita Oppenheimer
Chaïm Roudnick • Eidel Roudnick • Hélène Roudnick
Arthur Salm • Mireille Steinitz • Rosa Steinitz
Fernand Uhry • Ruchla Zlotowicz
Derrière l’histoire avec un grand « H » – celle que l’on apprend à l’école -, ce sont des histoires individuelles et des parcours de vie qui se font jour. Ces 12 femmes et 8 hommes habitaient notre ville. Ils étaient des pères, des mères, des époux, des amis, des voisins ou des collègues. Ils ont été cyniquement arrêtés, déportés et assassinés entre juillet 1942 et mars 1944. Arrachés à la vie – arrachés à leur vie – comme des millions d’autres, au motif de leur confession réelle ou supposée.
La transmission. Là est tout l’enjeu de notre histoire. Car la mémoire est une chaîne, précieuse mais fragile, que nous devons veiller à ne jamais rompre. Et nous en sommes tous et toutes les maillons. Ce passage de relais est d’autant plus impérieux qu’année après année, les témoins directs sont de moins en moins nombreux.
C’est pourquoi, j’adresse toute ma reconnaissance à Dimitri Vouzelle, docteur en histoire contemporaine et professeur d’histoire-géographie au lycée international Charles de Gaulle, qui est à l’initiative de la démarche. Monsieur Vouzelle, avec vos élèves, vous vous êtes attachés à poser des noms, des visages et des récits sur des existences que les esprits les plus sombres avaient entrepris de réduire à des nombres puis à néant. Grâce à ces pavés de mémoire, votre projet pédagogique éclaire bien au-delà des salles de classe. Car en investissant ainsi l’espace public, le remarquable travail de recherche mené par vos élèves cultive la mémoire collective de notre ville.
Chers élèves passeurs de mémoire, je salue l’engagement dont vous avez fait preuve pour retracer les parcours des victimes de la Shoah et développer la conscience mémorielle. Je vous adresse à ce titre ma plus grande reconnaissance et me fais l’écho de celle des Dijonnais. Je tiens par ailleurs à remercier le service valorisation du patrimoine de la ville de Dijon et en particulier Laurent CESSIN pour le pilotage de l’installation des pavés de mémoire.
Si nous rendons aujourd’hui hommage à 20 victimes, nous ravivons en réalité à travers elles, le souvenir de chacune des vies volées par la barbarie nazie.
Une exigence morale que notre humanité nous commande de ne jamais trahir. Car les atrocités ineffables perpétrées par le régime nazi dans le but d’exterminer méthodiquement, froidement et de manière industrielle des millions d’individus – en raison de leur confession, orientation sexuelle, appartenance à un groupe ethnique, état de santé, convictions et engagements politiques – sont autant de blessures indélébiles infligées à l’humanité.
Ces pavés de mémoire en sont les cicatrices. Des stigmates qu’il est de notre devoir de révéler au monde tant ils nous rappellent que l’inconcevable peut malgré tout exister ; qu’un génocide d’une ampleur et d’une violence échappant à l’entendement, a pu être pensé et orchestré ; qu’une société occidentale démocratique, éclairée, riche d’une abondante culture et d’une pensée libre, n’a pas su empêcher une telle faillite de notre civilisation. Anne Frank, avec ses mots d’adolescente, écrivait dans son journal : « Qui aurait cru que tant de cruauté pouvait exister dans le monde ? […] Je ne peux pas croire que l’humanité puisse être si abominable et si brutale ».
Cet hommage est donc aussi un appel à maintenir une vigilance constante. Car chaque tentative visant à minimiser, déformer ou nier l’extermination planifiée d’un peuple tout entier alourdit le crime contre l’humanité, du crime contre la vérité. Et parce que l’actualité, hélas, nous le démontre : la haine – aussi inimaginable et insensée soit-elle – n’est pas l’apanage du passé. Elle menace de surgir à tout moment et prend de nouvelles formes, pour beaucoup insidieuses. Venue de nulle part, la haine de l’autre refait surface ici et là, en Europe et partout dans le monde, y compris là où l’on pense être à l’abri.
La société française que nous connaissons aujourd’hui n’est à ce propos pas épargnée par l’antisémitisme. Les chiffres communiqués par le Conseil représentatif des institutions juives de France le montrent : 1 570 actes antisémites ont été recensés en France sur l’année 2024, certes une centaine de moins qu’en 2023. Mais les niveaux historiquement hauts observés depuis la sanglante attaque terroriste du 7 octobre 2023 doivent tous et toutes nous alarmer. Face à ce terrifiant débordement de haine, il est de notre responsabilité, en tant que membres de la famille humaine – telle est la formule dans la Déclaration universelle des droits de l’homme – de ne jamais transiger face à l’inacceptable, de ne jamais banaliser l’insoutenable. Car rien ne saurait justifier l’antisémitisme et la haine de l’autre.
Tandis que la guerre qui fait rage au Proche-Orient tue tous les jours davantage de civils innocents et aggrave la catastrophe humanitaire, je pense, le cœur serré, aux 57 otages israéliens – dont 34 morts – encore détenus par le Hamas. Le cessez-le-feu amorcé en janvier dernier n’a malheureusement pas abouti à un arrêt durable des combats.
Pire, la situation ne cesse d’empirer et la perspective d’une résolution par le dialogue et la négociation semble, hélas, plus illusoire que jamais.
La pose de ces pavés de mémoire traduit par ailleurs une démarche volontaire de rassemblement et de coopération autour de la question mémorielle. Aujourd’hui, plus de 85 000 pavés de mémoire ont été installés dans 25 pays européens. Voilà un symbole fort de notre appartenance à une communauté européenne démocratique, unie par le refus ferme d’abandonner à l’oubli les victimes de l’Holocauste et de transiger face au rejet de la différence. De ville en ville et d’une même voix, nous exprimons notre aspiration à une société du vivre-ensemble, de la tolérance et de la paix. Pas plus tard qu’hier, je participais dans le cadre du Printemps de l’Europe, à la conférence « La paix en Europe, face à l’instabilité géopolitique, que peuvent les villes et les territoires ? » aux côtés d’élus de collectivités partenaires : de Vinnytsia en Ukraine – malheureusement encore aujourd’hui sous les bombes -, mais aussi de RhénaniePalatinat en Allemagne, de York en Grande-Bretagne et de Reggio Emilia en Italie. Et je peux vous dire que malgré les fractures qui déchirent le monde, une conviction est partout partagée chez nos voisins – et surtout amis – européens : la certitude que les collectivités territoriales, par leur formidable capacité à cultiver la fraternité et l’ouverture au monde, jouent un rôle diplomatique fondamental en faveur d’une nécessaire compréhension mutuelle et d’une paix durable.
Simone Veil, survivante de la Shoah, disait que « La mémoire n’est pas seulement un devoir, c’est aussi une promesse ». Aujourd’hui donc, dans cette salle des États, je renouvelle, au nom de la collectivité toute entière, notre promesse : celle de tout faire pour que jamais le brouillard de l’obscurantisme ne retombe.
Incrustations lumineuses, dont la sobriété fait toute la puissance, les 31 pavés de mémoire qui jalonnent désormais les rues dijonnaises sont de véritables actes de résistance et d’espoir face à l’indifférence. Des fragments de ville et d’histoire qui ancrent plus solidement encore le souvenir des victimes de la Shoah dans notre patrimoine et surtout dans le quotidien de nos habitants. Avec autant d’humilité que de dignité, autant de force que de délicatesse, autant de solennité que de simplicité, ces 31 noms, gravés dans le sol, comme dans les consciences, nous murmurent : « Ici, il y avait une vie ».
Je vous remercie.
