De la rocade dijonnaise aux artères de Paris, en passant par les centres hospitaliers, les parkings de gare et les campagnes reculées, le moteur gronde. Ce lundi, une mobilisation nationale sans précédent des chauffeurs de taxi a littéralement figé une partie du réseau routier français. En cause : une réforme tarifaire initiée par l’Assurance maladie, qui prévoit une refonte complète de la rémunération des transports de patients en taxi conventionné.
Alors que la nouvelle convention n’est pas encore totalement entérinée, les professionnels dénoncent une baisse de 30 % de leur revenu sur ces courses médicales — une activité vitale, particulièrement dans les zones rurales. À Dijon, près de 150 taxis se sont mobilisés, une affluence remarquable, qui s’est traduite par de longs ralentissements dès 7h30 du matin. Pour les manifestants, ce n’est pas une simple grève. C’est un appel à la survie.
“On veut juste pouvoir vivre de notre métier”
Sur le parking du Zénith de Dijon, ils sont une centaine à discuter, moteurs au ralenti, gilets jaunes ou orange vissés sur le dos. Ce sont des visages familiers pour beaucoup de patients : ce chauffeur-là transporte des personnes âgées trois fois par semaine pour leurs dialyses ; cet autre accompagne un adolescent à ses séances d’orthophonie. Pascal Morel, chauffeur depuis plus de 20 ans, ne décolère pas : « On ne veut pas spécialement une augmentation des tarifs. On veut juste pouvoir vivre de notre métier. Ce que propose la CPAM, c’est une baisse de 35 %. Vous imaginez ? C’est notre marge qui disparaît, c’est l’entreprise qui meurt. »
Il pointe également les effets indirects de cette réforme : « Les gens des campagnes ou même de la ville ne seront plus transportés. Si nous, on ne peut pas vivre, on arrête. Et ce sont les patients qui trinquent. »
Un parcours symbolique à Dijon
La mobilisation dijonnaise s’est déroulée dans un calme maîtrisé mais avec une forte visibilité. Après un départ du Zénith, les taxis ont emprunté la rocade avant de revenir sur leurs pas. Ils se sont ensuite divisés en deux cortèges :
- Le premier cortège a pris la direction de Saint-Apollinaire, a suivi la rue du Docteur Schmitt, puis la rue Paul Gaffarel, jusqu’au rond-point de la rue Professeur Marion pour rallier le CHU de Dijon.
- Le second cortège s’est dirigé vers Valmy, à la clinique privée Hôpital privé Dijon Bourgogne (Ramsay Santé).
Vers 14h30, les deux groupes se sont réunis sur le parking du parc des sports avant de se rendre à pied jusqu’à la préfecture de Côte-d’Or, où une délégation a été reçue. Un dialogue, certes ouvert, mais jugé insuffisant pour apaiser la tension.
Rollin Olivier : “Nous sommes le lien invisible entre les patients et les soins”
Rollin Olivier, gérant de la SARL Taxi Clamecycois, raconte sans détour les réalités de son métier, loin des clichés urbains. Pour lui, les taxis conventionnés sont devenus le dernier filet sanitaire dans de nombreuses zones rurales : « On nous a éloignés des hôpitaux. On a fermé des structures. Et on se retrouve à aller de plus en plus loin. Moi, en campagne, je transporte des dizaines de milliers de personnes. On est leur seul lien avec l’hôpital. »
Son inquiétude est double : non seulement la réforme menace son entreprise, mais elle ouvre aussi la porte aux plateformes privées : « On a peur de voir arriver les VTC, Uber, et autres. Ils n’ont ni les mêmes charges, ni les mêmes obligations. Nous, on a toujours fait notre travail. On était là pendant le Covid, avec nos masques, nos gants, nos produits désinfectants… Et aujourd’hui, on nous tourne le dos. »
Transport partagé : une complexité oubliée par les bureaux parisiens
L’une des solutions avancées par la réforme est le développement du transport partagé, censé rationaliser les coûts. Mais sur le terrain, cette option est loin de faire l’unanimité. Rollin Olivier l’explique clairement : « On le fait déjà, on appelle ça le ‘simultané’. Mais ce n’est pas magique. Imaginez trois patients dans la voiture avec des pathologies différentes. Un en chimiothérapie, un autre pour un rendez-vous ophtalmo. Si l’un finit tôt et que les autres attendent deux heures, c’est intenable. Et en plus, on ne sera plus rémunérés pour l’attente. »
Il évoque également le manque total de coordination médicale : « Pour faire du transport partagé viable, il faudrait que les secrétaires, les médecins, les plannings de rendez-vous soient parfaitement alignés. Ce n’est pas le cas. Ce n’est pas réalisable sans une organisation lourde. »

La fin des petites structures ?
Au-delà des enjeux humains, c’est tout l’équilibre économique de la profession qui vacille. Rollin Olivier alerte sur l’avenir : « On va perdre les petites structures. Celles qui travaillent seules ou à deux. Si elles ne peuvent pas s’allier ou mutualiser, elles vont disparaître. Et les grosses boîtes vont racheter. Et derrière elles, il y a quoi ? Les plateformes. » Il craint une perte de qualité de service, mais aussi de lien humain : « On n’est pas juste des chauffeurs. On est souvent les confidents, les accompagnateurs, les repères dans la vie de personnes malades. Ça, aucun algorithme ne pourra le remplacer. »
Des incidents à Paris : la tension monte
Si Dijon a été épargnée par les violences, la situation à Paris a dégénéré. En fin de matinée, des pneus et palettes ont été incendiés. Les forces de l’ordre ont riposté avec des gaz lacrymogènes, et 64 interpellations ont été recensées pour des faits de violences, dégradations et participation à un groupement en vue de commettre des délits.
“Notre colère fera l’Histoire”
Dans son communiqué, la Fédération nationale du taxi (FNDT) promet de continuer le mouvement si la réforme est maintenue : « Trop, c’est trop. Les chauffeurs de taxi de France sont à bout. (…) Si la profession parvient à se réunir, sa colère fera l’Histoire. »
Et maintenant ?
L’Assurance maladie et le gouvernement ne pourront pas ignorer plus longtemps cette mobilisation. Le message est clair : le secteur du taxi conventionné est à un point de rupture. Ce n’est plus une simple question de tarification. C’est une alerte sur l’avenir du transport sanitaire, en particulier dans les zones déjà fragilisées par la désertification médicale.
Les chauffeurs, eux, restent déterminés. Car derrière leurs volants, ce ne sont pas que des chiffres qui défilent. Ce sont des vies qu’ils accompagnent, des personnes fragiles, des services de santé qu’ils prolongent. Le combat, pour eux, ne fait que commencer.
D. Bernard




















