Face à la recrudescence des actes antisémites en France depuis le 7 octobre 2023, date de l’attaque du Hamas contre Israël, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) a officiellement installé sa délégation régionale en Bourgogne-Franche-Comté. Un événement hautement symbolique, organisé à Dijon, en présence de nombreux élus, acteurs associatifs, représentants de l’État et membres de la communauté juive.
Cette inauguration marque une étape importante dans l’histoire du CRIF, qui continue de déployer son maillage territorial pour répondre à une situation jugée alarmante.
Un contexte d’urgence : l’antisémitisme décomplexé
Depuis l’attaque terroriste du Hamas, le président du CRIF, Yonathan Arfi, note une véritable « libération de la parole antisémite ». « L’antisémitisme s’est déversé, galvanisé par le conflit israélo-palestinien. Il est sorti de son lit », déclare-t-il en ouverture de la conférence de presse. Mais il précise : « Les actes n’ont pas attendu les images tragiques de Gaza ou la riposte israélienne. Ils ont débuté dès le 7 octobre. »
Pour Yonathan Arfi, il s’agit d’un « effet d’entraînement », un mécanisme connu depuis les attentats de Toulouse (2012) et de l’Hyper Casher (2015). « Ce qui nous interroge, c’est la persistance, la structure même de cette haine. »
Une délégation pour porter la voix juive en région
Longtemps absente de la région, la représentation locale du CRIF est désormais une réalité. Installée à Dijon, la nouvelle délégation Bourgogne-Franche-Comté, présidée par Laurent Hofnung, regroupe des figures issues de Belfort, Besançon, Nevers, Chalon-sur-Saône et Dijon.
« Il nous fallait une voix forte dans l’espace public local », affirme Yonathan Arfi. Laurent Hofnung, ancien militant associatif, souligne : « Lorsqu’on s’attaque à la communauté juive, on s’attaque à la société tout entière. » À ses côtés : Émilie Sananes (vice-présidente), Laurent Bloch (secrétaire général), et Michel Lévy (trésorier), composent le bureau régional.
Un héritage de la Résistance et un engagement républicain
Le CRIF, fondé en 1943 comme un pendant juif au Conseil national de la Résistance, incarne selon Yonathan Arfi un « ADN très républicain, très universaliste, très militant ». Il évoque la mémoire de la Shoah, la défense de l’État d’Israël, l’émancipation de 1791, et surtout, un attachement profond aux droits humains.
L’ambition du CRIF Bourgogne-Franche-Comté : organiser des conférences, intervenir dans les établissements scolaires, croiser les savoirs d’historiens locaux, et promouvoir la laïcité comme condition fondamentale de la démocratie.

Une haine polymorphe, persistante et locale
Laurent Hofnung alerte : « L’antisémitisme mute. Il peut être religieux, racial, social, ou géopolitique. » Il cite « l’antisémitisme d’État » de l’URSS comme un exemple historique parmi d’autres. À Dijon et à Belfort, les réalités sont tangibles : des affiches appelant à la libération des otages du Hamas arrachées, des enfants juifs ostracisés à l’école, et une vingtaine d’actes antisémites recensés dans la seule Côte-d’Or en 2024.
Mais nombre d’incidents restent invisibles. « Certains parents refusent de signaler les faits par peur d’être identifiés comme juifs », confie Laurent Hofnung.
L’école en première ligne : un défi éducatif urgent
Le président du CRIF insiste sur le rôle crucial de l’école. « Elle traite bien l’antisémitisme du passé, celui d’aujourd’hui, beaucoup moins. » Ce nouveau visage, encapsulé dans la haine d’Israël ou véhiculé par l’islamisme et les réseaux sociaux, nécessite une adaptation des outils pédagogiques.
Une prise de conscience émerge, notamment à travers la participation de la ministre Élisabeth Borne à un colloque du CRIF. Mais Yonathan Arfi prévient : « Le défi est de rendre l’école efficace face au fonctionnement contemporain de l’antisémitisme. »
Un moment d’unité politique rare
La cérémonie a réuni des élus de tous horizons : Christophe Grudler (Modem), François Patriat (Renaissance), Françoise Tenenbaum (PS), Florian Bouquet (LR), Didier Martin, ou encore Claire Vuillemin (Horizons). Tous ont souligné la gravité de la situation.
Nathalie Koenders, maire PS de Dijon, s’est montrée particulièrement directe : « L’antisémitisme progresse. Il est omniprésent. Il vient de l’extrême-droite et de l’extrême-gauche. » Elle déplore que cette haine s’exprime désormais « librement sur les réseaux, dans les discours politiques, dans l’espace public ». « Ce combat est celui de la mémoire, de la dignité humaine, de l’avenir. »
Elle rappelle aussi les « pavés de mémoire » installés à Dijon, rappelant les noms des victimes juives de la Shoah.
Gaza, antisémitisme et République : des clarifications essentielles
Conscient de la douleur à Gaza, Yonathan Arfi reconnaît « une détresse réelle des populations civiles palestiniennes », mais refuse que cela serve de paravent à l’antisémitisme. « L’émotion, oui ; l’obsession, non. » Il distingue solidarité avec les Palestiniens et obsession anti-israélienne, qu’il considère comme un masque de la haine des juifs.
Il fustige La France insoumise qui, selon lui, « fait de Gaza un slogan électoral, flattant les passions mauvaises, en rupture avec l’ADN de la République ».
Un combat partagé, un idéal à raviver
Yonathan Arfi revendique un attachement profond à l’universalisme républicain : « Une forme de protection, d’émancipation, le refus des assignations. » Il souligne que « l’antisémitisme commence avec les juifs mais ne s’arrête jamais aux juifs », et que sa montée en puissance est un indicateur du délitement démocratique. « Il faut reconstruire l’idée qu’il y a un génie singulier dans la République », conclut-il.
Vers une coopération renforcée avec les institutions
Autour de l’installation de la délégation, Yonathan Arfi et Laurent Hofnung ont entamé une série de rencontres avec des institutions : le préfet Paul Mourier, la présidente du tribunal de Dijon Nathalie Poux, le procureur Olivier Caracotch, la présidente de région Marie-Guite Dufay, afin de bâtir des ponts durables entre la communauté juive et les pouvoirs publics.
L’installation du CRIF Bourgogne-Franche-Comté n’est pas une simple formalité administrative. C’est l’implantation locale d’un combat de longue haleine contre une haine toujours vivace, changeante, insidieuse. C’est aussi un appel à l’unité nationale, à la fidélité aux idéaux républicains, et à la responsabilité partagée dans la défense de la démocratie.
Dans un pays où les fractures identitaires et idéologiques s’élargissent, la voix du CRIF résonne comme un rappel : la République ne peut tolérer qu’on s’en prenne à l’un de ses enfants sans y perdre un peu d’elle-même.



