Un cortège inhabituel a traversé la rue de la Liberté ce samedi après-midi, vêtu de noir et rythmé par les notes solennelles de Chopin, Berlioz et Beethoven. Ce n’était pas une manifestation ordinaire, mais une procession funèbre symbolique organisée par plusieurs collectifs écologistes — Extinction Rébellion, Les Soulèvements de la Terre, ANV-COP21, Greenpeace, Les Amis de la Terre — pour marquer l’enterrement de la biodiversité marine.
Le défilé, parti de la place Darcy à 14h, a traversé le centre de Dijon jusqu’à la place Notre-Dame. À chaque étape, des prises de parole ont dénoncé l’état alarmant des océans et la responsabilité humaine dans leur dégradation. Une première allocution a eu lieu place François-Rude, suivie d’un discours final à Notre-Dame à 15h.
Un océan à l’agonie
À quelques jours de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan, qui se tiendra à Nice du 9 au 13 juin, cette action vise à alerter l’opinion publique sur la destruction silencieuse mais massive des milieux marins.
Les chiffres donnent le vertige : 50 % des coraux ont disparu en 30 ans. Et selon les projections actuelles, 90 % de ces écosystèmes essentiels pourraient s’éteindre d’ici 2050. La biodiversité marine, pourtant indispensable à l’équilibre climatique mondial, est en train de s’effondrer. “Chaque année, des millions d’espèces marines subissent les conséquences directes de l’action humaine”, ont rappelé les militants.
Plus de 80 % de la pollution des océans provient d’activités terrestres : déchets plastiques, rejets industriels, pollution agricole. Cette dégradation met en péril les écosystèmes marins, qui jouent pourtant un rôle majeur dans la régulation du climat et la captation du CO2.
Aires marines “protégées” : un leurre ?
Au cœur de cette dénonciation se trouve la question des aires marines protégées, un terme trompeur selon les organisateurs. La France revendique fièrement la protection de 30 % de son espace maritime, mais en réalité, moins de 0,1 % de ses eaux sont véritablement sanctuarisées, c’est-à-dire exemptes de pratiques de pêche industrielles.
Parmi ces pratiques décriées : le chalutage de fond, qui consiste à racler les fonds marins avec des filets géants, soutenus par des chaînes et panneaux métalliques de plusieurs tonnes. Cette technique, qui détruit tout sur son passage, ratisse chaque année une surface équivalente à celle de la forêt amazonienne. Elle libère également de grandes quantités de CO2 piégé dans les sédiments, aggravant encore le changement climatique.
Autre méthode destructrice : le chalutage pélagique, qui cible les poissons dans la colonne d’eau. Peu sélective, elle capture et tue également tortues, dauphins et autres espèces protégées. En moyenne, 75 % des animaux capturés sont rejetés morts à la mer, car ces pêches ne ciblent souvent qu’une espèce commerciale.
Selon les données des associations, 86 % des eaux dites “protégées” en Europe sont intensément chalutées, vidant les océans de leur vie marine tout en donnant l’illusion d’une protection.
Un rôle vital pour le climat
“Les océans sont nos meilleurs alliés contre le réchauffement climatique”, ont martelé les militants tout au long du cortège. Ils absorbent environ 30 % du CO2 émis par les activités humaines. La flore et la faune marines jouent un rôle crucial dans ce mécanisme, piégeant une partie de ce CO2 dans les abysses pendant des milliers d’années. Mais ce cycle est gravement perturbé par le chalutage profond, qui retourne les sédiments marins et libère ce carbone stocké.
Une politique gouvernementale sous le feu des critiques
La colère des militants est aussi dirigée vers le gouvernement français. Lors du Sommet SOS Océan du 31 mars 2025, Emmanuel Macron a réaffirmé son soutien à la pêche industrielle. Une prise de position perçue comme une trahison par les associations, qui accusent l’État de céder aux lobbies de la pêche au détriment du climat et de la biodiversité.
La ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a récemment proposé de gérer l’interdiction de la pêche industrielle au sein des aires marines protégées “au cas par cas”. Une décision jugée incohérente et insuffisante par les collectifs, alors que la France possède le deuxième plus grand domaine maritime au monde.
Des revendications claires et urgentes
Par cette marche symbolique, les associations ne se contentent pas de dénoncer : elles formulent des demandes concrètes. Elles appellent à :
- Interdire le chalutage de fond et pélagique dans les aires marines protégées,
- Mettre fin à l’exploitation minière des fonds marins,
- Créer de véritables sanctuaires marins, sans aucune activité extractive,
- Repenser en profondeur la gouvernance des océans.
“Imaginez les effets incroyables qu’une évolution de notre législation pourrait avoir !”, ont lancé les manifestants à l’attention des autorités. Un appel à l’action, pour que les mots “protection marine” retrouvent leur sens, et que les océans puissent de nouveau respirer.



