Dans la pénombre feutrée de son bureau, Marie-Guite Dufay livre à quelques journalistes triés sur le volet une déclaration soigneusement calibrée : elle quitte son mandat régional à la rentrée, après des années de service. « Pour prendre le temps », dit-elle. Contempler, cuisiner, défendre des causes. Une fin de règne paisible, presque bucolique. Mais derrière ce vernis apaisé, c’est une manœuvre politique bien huilée qui se dessine.
Deux candidats, pas un de plus
La présidente sortante annonce qu’un vote désignera son successeur le 4 juillet prochain, lors d’une réunion dédiée à Dijon. Dans la foulée, elle encadre le débat en plaçant deux noms sur la table : Nicolas Soret, maire de Joigny, dans l’Yonne, est vice-président à l’Économie et aux Finances, et tient un rôle majeur, depuis le début du mandat, dans l’élaboration des budgets et de la stratégie de la collectivité. Jérôme Durain, sénateur de Saône-et-Loire et président du groupe socialiste à la Région, a un rôle plus politique, notamment lorsqu’il s’agit de répondre aux attaques du Rassemblement national. Pas trois. Ni quatre. Deux, et seulement deux. La suite logique serait d’y voir une volonté de garantir une transition organisée. Mais le procédé interroge : en agissant ainsi, Marie-Guite Dufay coupe, sans ambiguïté, l’herbe sous le pied à d’autres prétendants potentiels.
Un choix démocratique… vraiment ?
La présidente revendique une tradition démocratique. Elle rappelle l’épisode de 2004, lorsqu’elle avait elle-même été élue à la suite de Raymond Forni. Mais à l’époque, elle était une candidate parmi d’autres. Aujourd’hui, c’est elle qui trace les lignes du jeu et désigne les joueurs. Un paradoxe que beaucoup, dans les rangs de la gauche régionale, ont du mal à digérer.
Parmi les grands oubliés de ce duel imposé, Océane Godard, élue montante, au verbe libre et à l’ambition parfois assumée, se serait peut-être bien vue dans la course. Son nom circule, ses soutiens existent, mais l’hypothèse de sa candidature semble, pour l’instant, étouffée dans l’œuf. À gauche, plusieurs voix commencent à murmurer que ce « passage de relais » tient davantage du verrouillage que de la transmission.
Une présidence au goût de casting
En valorisant d’entrée de jeu deux profils aux parcours très différents – Soret le gestionnaire technique, Durain le politique chevronné –, Marie-Guite Dufay organise un casting à sa mesure, où elle semble garder la main sans se mouiller. « Je n’exprimerai pas de préférence », dit-elle. Mais le simple fait de réduire le choix à deux noms équivaut déjà à un cadrage politique fort. Les jeux sont faits – ou presque.
Un départ en douceur, une succession sous contrôle
À l’heure de passer la main, Marie-Guite Dufay soigne sa sortie. Elle part à ses propres conditions, refuse l’image d’une éviction, et entoure son retrait d’un discours généreux sur la jeunesse et la transmission. Mais la réalité politique est plus rugueuse : en balayant d’avance les candidatures alternatives, elle assure la continuité de sa ligne, à défaut de celle d’un débat démocratique ouvert.
Un dernier coup de barre, discret mais ferme. Le symbole d’un pouvoir qui s’en va… mais qui garde un œil sur la suite.