Le sujet de la Cité internationale de la gastronomie et du vin (CIGV) a une nouvelle fois enflammé le conseil municipal. En débat : l’instauration de la gratuité pour les expositions permanentes du pôle culturel de la Cité. Si la majorité la défend comme une mesure d’accessibilité culturelle et d’équité, l’opposition dénonce une gestion erratique, un déficit abyssal et un « fardeau » croissant pour les contribuables dijonnais.
La gratuité actée, malgré les tensions
François Deseille, adjoint au maire chargé de la CIGV, a porté la mesure : « L’objet du présent rapport est de proposer la gratuité d’accès des expositions permanentes au pôle culturel de la Cité. » Il rappelle que cette mesure complète la gratuité déjà en vigueur pour la chapelle des Climats et des Terroirs et s’inscrit dans une stratégie « d’attractivité culturelle » visant à « augmenter le flux de visiteurs ».
Avec 138 200 visiteurs en 2024 (contre 120 000 en 2023), François Deseille défend une dynamique positive : « C’est une décision d’équité […] les expositions permanentes de la CIGV étaient les seuls espaces culturels municipaux payants. » Il met aussi en avant un taux de remplissage de 85 % pour les ateliers et animations payantes, soulignant un modèle économique hybride : accès gratuit aux expositions permanentes, mais offres enrichies payantes « à forte valeur ajoutée ».
Emmanuel Bichot charge : “« Vous considérez que le contribuable dijonnais doit payer indéfiniment pour vos échecs. »”
Mais Emmanuel Bichot, président du groupe Agir pour Dijon, démonte méthodiquement la stratégie municipale. Il ouvre la charge : « Madame le maire, chers collègues, nous sommes invités à délibérer pour la 16e fois sur les tarifs de la CIGV en un peu plus de trois ans. Cette instabilité devient chronique. » Il ironise violemment : « Vous proposez maintenant, en désespoir de cause si je puis me permettre, d’instaurer la gratuité pour les expositions permanentes. La prochaine fois, vous proposerez peut-être de payer les gens pour qu’ils viennent visiter. »
Mais c’est sur les finances qu’il tape le plus fort : « Le pôle culturel devait être équilibré financièrement en exploitation. Trois ans plus tard, nous en sommes loin. Les dépenses en 2024 sont supérieures à 2 millions d’euros. Les recettes, mécénat compris, s’élèvent à 490 000 euros. » Emmanuel Bichot évoque même une « double facturation » lors de la création du site : « Les espaces communs et les voies ont été financés deux fois. Une première fois par une réduction du prix de vente de la ville, la deuxième par un remboursement du coût des travaux de la part de la métropole au moment du transfert de propriété. »
Il ajoute : « Ce constat a d’ailleurs été confirmé par le magistrat de permanence du Parquet national financier, même s’il n’a pas retenu la qualification de détournement de fonds publics que je proposais. » Et de conclure, implacable : « Que comptez-vous faire pour rendre cet argent aux Dijonnais ? »
Réponse foudroyante de François Rebsamen
L’attaque ne reste pas sans réponse. François Rebsamen, visiblement visé, prend la parole : « Je viens d’être indirectement mis en cause par M. Bichot, qui saisit régulièrement le procureur financier et qui utilise son rôle, d’ailleurs, au sein de la Cour des comptes. Moi, je m’interroge tous les jours : est-ce qu’il n’y a pas, quand Monsieur Bichot intervient comme ça, sur des rapports qui sont suivis par la chambre régionale de la Cour des comptes ici, et que lui intervient par-dessus ça, en tant que conseiller maître à la Cour des comptes, un conflit d’intérêts manifeste ! Je soulève ce conflit d’intérêts, et je vous rappelle que j’ai porté plainte — je ne suis pas le seul, d’ailleurs : Madame la Maire, avec vous ! »

François Rebsamen rappelle qu’il a porté plainte pour dénonciation calomnieuse : « M. Bichot s’est répandu à peu près partout, sur la télévision régionale, m’accusant de détournement de fonds publics, envisageant des peines de prison. Non seulement Monsieur Bichot donne les leçons, mais mais il donne la peine aussi ! Le quantum, ils savent tout ! Et rien d’autre, au dit Clemenceau — mais c’est vrai ! Finalement, tout ça est insignifiant, mais il faut arrêter ces querelles, Monsieur Bichot. »
Il poursuit : « Ça fait dix fois, douze fois que vous allez en justice. Et vous perdez à chaque fois. Vous avez encore perdu malgré votre influence, que j’ai dénoncée d’ailleurs, auprès de la Cour des comptes, je voulais vous le dire ! Parce que ça commence à bien faire, de vous voir en tant que procureur financier vous-même […] c’est pas possible de vous laisser tous les jours insulter les individus. C’est votre façon de faire de la politique, on le sait ! Mais abuser de votre fonction, chaque fois que la Chambre régionale des comptes, ici, intervient sur la ville, vous, vous intervenez au même moment, au même instant, en tant que conseiller maître à la Cour des comptes ! Et je pense que vous essayez d’influencer comme ça toujours les rapports de la Chambre régionale des comptes. Et donc, je le dis ici, c’est inacceptable. Je n’irai pas plus loin sur mon intervention, mais je voulais faire cette mise au point un peu solennelle parce que ça suffit vraiment. »
Il ajoutera : « Même vous, vous avez commencé à 10, vous êtes à 2. Ça prouve votre capacité de rassemblement. Finalement, vous êtes un grand diviseur. C’est tout ce que vous êtes. Vous perdez vos colistiers les uns après les autres. Vous faites exploser les droites partout où vous êtes passé. » Et conclut par une anecdote amère : « Le maire de Beaune, malgré ses échecs sur la Cité des Vins, m’a dit : ‘Bah mon vieux, t’as pas de chance de recevoir Bichot’. »
Axel Sibert : “On touche aux tarifs sans jamais se poser les bonnes questions”
Prenant la parole après les échanges musclés entre François Rebsamen et Emmanuel Bichot, Axel Sibert a dressé un constat lucide et critique, tout en évitant l’invective : « Oui, madame la maire, chers collègues. C’est vrai, pour rejoindre l’intervenant précédent, on a beaucoup, beaucoup, beaucoup touché aux tarifs de la Cité internationale de la gastronomie et du vin, peut-être trop, sans jamais se poser la question – ou en tout cas se remettre en question – sur le sens qu’on donne à la Cité. »
Il pointe du doigt un déséquilibre entre les ajustements tarifaires incessants et le manque de vision d’ensemble sur la vocation de l’équipement : « C’est quand même un investissement de plus de 15 millions d’euros, et un coût de fonctionnement que supporte la Ville, environ 2 millions d’euros par an depuis les trois ans d’ouverture. »
Et surtout : « En comptant les recettes de billetterie, on est à un peu plus de 20 millions d’euros de charges nettes sur le contribuable. » Axel Sibert alerte sur le fait qu’une gratuité décidée sans réflexion globale pourrait aggraver les choses : « Pourquoi aujourd’hui, j’ai envie de dire, refaire peser un fardeau supplémentaire sur les épaules des contribuables dijonnais sans se poser la question de ce qu’on peut améliorer dans le fond à cette Cité de la gastronomie ? »
Puis il interpelle directement l’exécutif sur les arbitrages budgétaires à venir : « Vous proposez dans ce rapport de dégrader le service. Oui, de dégrader le service. Vous allez réduire les amplitudes horaires en basse saison au lieu d’essayer de toucher les Dijonnais. » Selon lui, c’est un problème de positionnement : « Concrètement, la Cité de la gastronomie a manqué sa cible dijonnaise. »

Néanmoins, Axel Sibert refuse de sombrer dans le catastrophisme : « C’est un débat sain, franchement. J’attaque encore moins l’adjoint au maire qui porte à bout de bras cette Cité de la gastronomie, vraiment. Donc, je salue son travail pour éviter que cette Cité ne connaisse un échec cuisant jusqu’à la fermeture, parce que c’est l’intérêt de personne. En tout cas, ce n’est pas mon intérêt, vraiment. J’ai beau être dans l’opposition, ce n’est pas notre intérêt de voir un site, une rénovation assez réussie — plus ou moins réussie — mais en tout cas, ce n’est pas notre intérêt de voir une friche s’installer. Donc, entendez nos propositions. »
Enfin, il critique l’absence de données fiables pour fonder la décision du jour : « Cette décision de gratuité des expos permanentes, elle ne s’appuie en plus sur aucune étude d’impact. » Il invite la majorité à s’inspirer de modèles plus solides : « M. l’adjoint au maire cite la Cité du vin de Bordeaux. Elle accueille 400 000 touristes en moyenne, avec un billet d’entrée plein tarif à 22 euros. Son coût de fonctionnement de 10 à 11 millions d’euros par an est entièrement supporté par des fonds privés. »
Et Axel Sibert de conclure sur une voie alternative : « Redéfinissons ce projet de Cité internationale de la gastronomie avec nos acteurs locaux : les viticulteurs de l’appellation Bourgogne-Dijon, nos restaurateurs, nos professionnels de l’agroalimentaire, nos hôteliers… Et trouvons une voie qui ne sera pas l’échec où vous nous conduisez avec des décisions comme celle-ci. »
Laurent Bourguignat : “La gratuité ne créera pas la fréquentation”
Sans détour, l’élu de l’opposition a affirmé son opposition au principe même de la mesure : « Il nous est proposé d’instaurer la gratuité des expositions permanentes à la Cité de la gastronomie et du vin. Pour notre part, nous ne sommes pas favorables par principe à la gratuité systématique des musées, en particulier pour les touristes internationaux. »
S’il dit comprendre les enjeux sociaux, il remet en cause la pertinence de cette décision appliquée sans distinction : « Dès lors, en cohérence, nous ne le sommes pas plus pour les expositions de la Cité de la gastronomie et du vin. » Et d’ajouter, très sceptique : « Franchement, qui connaît un Dijonnais qui a dit : “Maintenant que c’est gratuit, je vais aller à la Cité” ? Personne. Ça n’existe pas. C’est un raisonnement théorique qui ne tient pas face à la réalité. »
Bourguignat dénonce également un manque de rigueur dans l’analyse préalable à la décision : « Aucune étude d’impact n’a été menée pour appuyer cette mesure. »
Et il s’interroge sur l’honnêteté des données financières : « Pour mémoire, le pôle culturel a accueilli 120 000 visiteurs en 2024, en incluant d’ailleurs l’Espace 1204. Et c’est malheureusement loin des espérances initiales qui étaient de 250 000. » « Ce n’est pas faute de communication. Je signale ici la mission d’accompagnement à la communication de la Cité, qui coûte 116 380 € hors taxe. Elle figure dans le rapport de délégation du maire. »
Sur la question budgétaire, l’élu relève un flou inquiétant : « Si on est loin des 3 millions de recettes annuelles initialement espérées, la billetterie générait tout de même des recettes. Ce serait intéressant de connaître le chiffre exact. » Il souligne un écart entre les sources : « On a lu quelque part 600 000 €, on nous parle là de 140 000 €. Ce serait intéressant d’avoir la somme exacte. »
Mais au-delà de la seule décision du jour, Laurent Bourguignat en appelle à une remise à plat du projet même de la Cité : « Le débat qu’il faut que nous ayons avec lucidité, c’est celui de l’avenir de la Cité de la gastronomie. Dans sa formule actuelle, c’est faire injure à personne de dire qu’elle n’a pas trouvé son public. » « Les Dijonnais ne se sont pas encore complètement approprié le lieu. Les touristes internationaux ne sont pas assez nombreux. »
Et il constate un manque de lisibilité globale du projet : « Le concept demeure un peu patchwork, manque encore de visibilité. » Toutefois, l’élu LR refuse de tout rejeter : « Ça ne veut pas dire qu’il faut tout jeter. La restauration patrimoniale du site est unanimement saluée. »
Il conclut sur une note constructive : « Moi, je crois toujours à cette idée d’un “food court” à la dijonnaise, qu’il soit authentique, convivial, populaire. Si nous avons le courage de poser lucidement le diagnostic, de mettre les choses à plat, peut-être imaginer de nouvelles activités sur le site… je suis convaincu que ce site a un avenir et qu’il pourra être un élément moteur de l’attractivité de notre ville. »
Deseille : “Une décision d’équité et de cohérence culturelle”
Dès l’introduction du rapport, François Deseille a clarifié la portée de la mesure : « En effet, l’objet du présent rapport est de proposer la gratuité d’accès des expositions permanentes au pôle culturel de la Cité. » Il précise que cette gratuité concerne les deux expositions permanentes – C’est en cuisine et Le petit théâtre du bien boire et du bien manger – qui s’ajoutent à la gratuité déjà en place pour la chapelle des Climats et des Terroirs.
Il met en avant : « La gratuité pour les expositions permanentes, c’est ce qui est appliqué dans tous les musées de Dijon. C’est une décision d’équité et de cohérence de fonctionnement entre les différents établissements culturels de notre ville. » Et il ajoute : « Les expositions permanentes de la CIGV étaient jusqu’à présent les seuls espaces culturels municipaux payants. »
“Un pôle culturel en croissance”
François Deseille a tenu à démontrer que la fréquentation de la Cité est bel et bien en hausse : « Sur environ 138 200 visiteurs en 2024 – je rappelle qu’en 2023, il y en avait 120 000 –, c’est une belle progression. » Il détaille que plus de 50 % des visiteurs fréquentent les espaces en accès gratuit, comme la Grande Chapelle ou la chapelle Sainte-Croix de Jérusalem, « magnifique bijou patrimonial ».
Il insiste également sur le succès des prestations payantes : « Les visites guidées gourmandes, les conférences-dégustations, les apéritifs-concerts, les ateliers culinaires adultes ou enfants fonctionnent particulièrement bien avec un taux de remplissage de 85 % en 2024. » « Ces prestations sont proposées à un tarif largement inférieur à la valeur réelle et à ce que les visiteurs accepteraient de payer. »
Deseille s’appuie sur des enquêtes qualité menées auprès des participants pour justifier ces chiffres, ainsi que sur des comparaisons nationales : « Un comparatif avec la Cité des vins de Bordeaux, la Cité du chocolat ou d’autres espaces culinaires montre que la Cité de Dijon pratique des prix relativement bas au regard de la qualité des prestations. »
“Réduire le déficit sans sacrifier la qualité”
Le choix de la gratuité s’inscrit dans une stratégie plus large visant à rendre la culture accessible, tout en maîtrisant les coûts d’exploitation : « Il vous est proposé de décider la gratuité des expositions permanentes du pôle culturel de la Cité, tout en travaillant à la diminution progressive du déficit d’exploitation, et ceci à compter du 5 juillet 2025. »
Pour cela, plusieurs mesures sont prévues :
- Mutualisations renforcées avec les partenaires privés,
- Réduction des amplitudes d’ouverture des expositions en basse saison,
- Internalisation des prestations culturelles,
- Développement de nouveaux produits de visite à forte valeur ajoutée.
« Il y a un tableau avec les nouveaux tarifs, joints au présent rapport, qui supprime certaines prestations, ajuste les billets couplés, et cela prendra effet à partir du 22 septembre 2025. »
“Une réussite urbaine, patrimoniale et culturelle”
Face aux critiques sur le coût global du projet, Deseille recadre : « L’ambition initiale était de requalifier un espace urbain. Ce lieu aurait pu devenir une friche, comme l’ancien hôpital de Clermont-Ferrand, squatté pendant dix ans. Nous, on a eu la chance de commencer les travaux dès le départ du dernier patient. » « C’est une réussite architecturale et patrimoniale reconnue par les riverains, les visiteurs. Le quartier se développe, le port du canal aussi. »
Il met en valeur des restaurations majeures : « La chapelle Sainte-Croix de Jérusalem a été rénovée, c’est un joyau. Le SIAP, c’est un outil de promotion patrimoniale exceptionnel. L’ancienne apothicairerie, certains la critiquent, mais quand on y va, c’est magnifique. »
“Une ambition à rayonnement international”
L’adjoint au maire évoque aussi la portée nationale et internationale du projet : « Nous sommes la seule ville en France à accueillir une Cité qui incarne ce patrimoine UNESCO partagé avec Lyon, Tours, Rungis. Les autres cités ont eu des difficultés. Nous, on se bat. » « En 2025, notre exposition À table ! sera présentée dans quatre villes au Japon. On a reçu récemment une délégation coréenne, on va exposer en Allemagne, on travaille avec la Cité de la bière à Anvers. » « Ces acteurs étrangers, ces journalistes, trouvent la Cité remarquable. Ils veulent la dupliquer chez eux. »
“Une critique injuste et démobilisatrice”
Très offensif face à l’opposition, François Deseille a lancé un plaidoyer pour cesser le “dénigrement” permanent du projet : « Nous sommes des élus destinés à porter Dijon, à booster Dijon. Nous ne sommes pas élus pour la dénigrer. » « Vos déclarations parfois calomnieuses ont un impact sur notre ville. Quand vous attaquez la Cité, vous décrédibilisez notre territoire et nos acteurs économiques. » « Il y a plein de villes qui aimeraient avoir une Cité comme la nôtre. »
Il appelle à sortir de l’obstruction politique : « Je ne vous vois jamais venir me faire des propositions concrètes. Vous venez ici pour critiquer. Moi, je suis disponible. J’aime ma ville. Portons cette Cité, portons Dijon. »
La gratuité a été adoptée malgré les critiques virulentes : sept élus ont voté contre.
Mais François Deseille, à travers un discours long, méthodique et passionné, a voulu rappeler qu’au-delà des chiffres, la Cité reste pour lui une vitrine culturelle, un levier de transformation urbaine et un symbole de fierté municipale : « La CIGV devrait nous rassembler. Ce devrait être une fierté pour nous tous. »