Depuis le mois de février 2025, la métropole dijonnaise est secouée par une vague de violences sans précédent. En l’espace de quelques mois, onze fusillades ont éclaté dans différents quartiers de Dijon, Chenôve, Quetigny ou encore Marsannay-la-Côte. Trois personnes ont trouvé la mort, plusieurs autres ont été blessées. La population vit désormais dans un climat de peur et d’insécurité.
Une série noire
La dernière fusillade en date s’est produite dans la nuit du samedi 20 au dimanche 21 septembre à Quetigny. Une intervention de la Brigade de Recherche et d’Intervention (BRI) a conduit à l’interpellation de trois individus, après que des coups de feu ont été tirés lors d’une course-poursuite. Quelques jours plus tôt, le mercredi 17 septembre, un homme avait ouvert le feu sur l’avenue Aristide-Briand, à deux pas de la place de la République à Dijon, déjà endeuillée par un règlement de comptes mortel survenu onze jours auparavant.
Ces épisodes viennent s’ajouter à une série déjà longue : fusillade mortelle début septembre en centre-ville, tirs à Chenôve en mai… Autant d’événements qui dessinent une réalité inquiétante : les trafics de stupéfiants gangrènent la métropole, et les règlements de comptes se règlent désormais à coups d’armes automatiques en pleine rue.
La « liste des hommes perdus »
Depuis plusieurs semaines maintenant, une rumeur persistante faisait état d’une liste circulant dans certains quartiers, sur laquelle figureraient les noms et prénoms d’hommes à abattre. Nos investigations nous permettent aujourd’hui de l’affirmer : cette liste existe bel et bien. Ce n’est plus une simple rumeur, mais une réalité glaçante.
Parmi les personnes mentionnées figure, à titre d’exemple, un jeune homme impliqué dans le trafic de stupéfiants. En apprenant que son nom apparaissait sur cette liste noire, il a immédiatement pris la fuite. Ses parents, habitants de Chenôve — lui, salarié municipal, et son épouse — ont quitté précipitamment leur domicile afin de se mettre à l’abri. Mais la fuite a un prix : faute de ressources suffisantes, la famille a été contrainte de revenir.
Pour ce couple relativement connu localement, la peur est désormais quotidienne. Quant à leur fils, son immersion dans les trafics semble l’avoir entraîné dans une spirale infernale. Pour beaucoup, cette liste est désormais surnommée « la liste des hommes perdus », symbole d’une violence qui ne laisse aucune échappatoire.
Qui est derrière ces fusillades ?
La question revient sans cesse : qui est à la tête de cette vague de règlements de comptes sanglants ? « En gros, c’est un clan implanté à Chenôve contre un clan basé dans le quartier des Grésilles à Dijon. Et derrière, il y a un individu surnommé le Diable, épaulé par ses deux frères. Ce sont eux qui tirent les ficelles », affirment régulièrement des personnes impliquées dans le trafic, rencontrées au cours de nos investigations.
Ces témoignages sont à prendre avec prudence. Nous ne prendrons pas ici l’initiative d’affirmer ces accusations. Mais une chose est certaine : certains commanditent bel et bien ces assassinats, et selon toute vraisemblance, la série noire est loin d’être terminée. Les enquêteurs, eux, connaissent ces noms et savent parfaitement dans quel milieu chercher.
Un clan dans le viseur de la justice
Le « Diable » et ses deux frères sont bien connus des services de police. Tous trois ont souvent défrayé la chronique judiciaire. En juillet 2022, ils faisaient partie des principaux prévenus d’un vaste procès pour trafic de stupéfiants, concernant le « four » des Grésilles, l’un des points de deal les plus importants de Dijon. Vingt personnes âgées de 20 à 46 ans étaient alors jugées pour des faits commis entre 2019 et 2021. Les trois frères ont été condamnés à des peines de plusieurs années de prison.
Mais l’histoire ne s’est pas arrêtée là. En mars 2024, l’un d’eux, incarcéré au centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand en Saône-et-Loire, a profité d’une permission de sortie pour disparaître. Il n’a jamais réintégré sa cellule. Selon les enquêteurs, il aurait quitté le pays, tout comme ses deux frères. Tous trois font aujourd’hui l’objet de mandats d’arrêt.
Une spirale de violence qui ne cessera qu’avec l’arrestation des commanditaires
Tant que les services de police n’auront pas réussi à identifier clairement, arrêter et neutraliser les véritables commanditaires de cette vague de violences, la métropole dijonnaise restera prisonnière d’un engrenage sanglant. Car si les fusillades visibles constituent la face la plus spectaculaire et la plus tragique de ce conflit, elles ne sont que l’exécution brutale d’ordres donnés dans l’ombre par des individus qui, eux, demeurent intouchables pour le moment. Ces figures de l’ombre orchestrent une guerre territoriale autour du trafic de stupéfiants, et chaque balle tirée dans les rues de Dijon ou de ses communes voisines n’est en réalité qu’un message adressé à leurs rivaux.
Cette impunité nourrit un sentiment d’injustice et d’impuissance au sein de la population. Les habitants, qui voient leurs quartiers se transformer en champs de bataille, vivent dans une peur diffuse : celle d’être au mauvais endroit au mauvais moment, celle de voir leurs enfants grandir dans un environnement où les armes parlent plus fort que la loi. Beaucoup s’interrogent désormais sur la capacité de l’État à reprendre la main face à des réseaux criminels structurés, capables de s’adapter à chaque coup porté par les forces de l’ordre.
Car l’équation est simple et implacable : tant que les donneurs d’ordres circuleront librement, souvent à l’étranger ou retranchés derrière leurs réseaux, les exécuteurs continueront à faire le sale travail pour eux. Tant que la justice n’aura pas réussi à couper la tête de l’hydre, d’autres règlements de comptes viendront allonger la liste macabre des victimes. Dans ce climat délétère, les habitants de la métropole n’attendent plus seulement des interpellations spectaculaires : ils espèrent des résultats concrets, une véritable reconquête de leurs rues et un retour durable à la sécurité.
La clé de cette série noire ne réside pas seulement dans l’arrestation des tireurs de terrain, souvent remplaçables et sacrifiables, mais bien dans la capacité des enquêteurs à atteindre le cœur du système, ces commanditaires invisibles qui tirent les ficelles. Sans cela, Dijon et ses alentours risquent de rester prisonniers d’un cycle infernal où chaque silence policier laisse présager la prochaine détonation.
