À quelques jours de la Journée internationale des droits des filles (11 octobre), l’ONG Plan International France publie son rapport annuel, intitulé « Laissez-moi être une enfant, pas une épouse – Le vécu des filles confrontées au mariage d’enfants ». Fruit de témoignages recueillis auprès de 251 jeunes filles mariées avant 18 ans dans 15 pays à forte prévalence (Bangladesh, Cambodge, Indonésie, Népal, Éthiopie, Mozambique, Ouganda, Zambie, Colombie, République dominicaine, Guatemala, Équateur, Nigeria, Niger et Togo), le document met en lumière la dure réalité de ces unions forcées : abandon scolaire, maternité précoce, isolement social, violences et dépendance économique.
Une pratique qui persiste malgré les lois
Selon l’ONG, 12 millions de filles sont mariées chaque année dans le monde avant leur majorité, en violation des conventions internationales et de leurs droits fondamentaux. Si, dans deux tiers des pays étudiés, la loi fixe bien l’âge minimum du mariage à 18 ans, des exceptions parentales, religieuses ou judiciaires permettent de contourner la règle. Pire encore, les unions informelles – civiles, coutumières ou religieuses – échappent totalement au cadre légal. Dans ces cas, les jeunes filles ne bénéficient d’aucune protection : pas de pension alimentaire, pas de droits de propriété, pas de recours contre les violences conjugales.
Le rapport souligne l’influence persistante des normes sexistes : 55 % des militantes interrogées dénoncent des croyances et traditions plus fortes que la loi. Ce poids culturel contribue à maintenir les mariages précoces malgré les engagements des États.
Des vies brisées : maternité imposée et école sacrifiée
La maternité apparaît comme une conséquence quasi systématique du mariage d’enfants. Près de trois quarts (72 %) des filles interrogées deviennent mères avant d’avoir 18 ans. Faute d’éducation sexuelle et d’accès à la contraception, elles subissent des grossesses précoces, souvent sous la pression de leur mari ou de leur belle-famille. Ces maternités mettent en danger leur santé, mais aussi leur avenir : l’école est abandonnée, et avec elle, toute perspective d’autonomie. Le rapport révèle que moins d’une fille mariée sur cinq poursuit sa scolarité après son union, tandis que 63 % se retrouvent sans études, sans emploi, ni formation. La dépendance économique vis-à-vis du mari devient alors totale.
Une absence criante de pouvoir décisionnel
Les mariages d’enfants concernent majoritairement des hommes plus âgés, ce qui renforce le déséquilibre au sein du couple. 38 % des jeunes filles interrogées déclarent n’avoir aucune capacité de décision dans leur foyer. Elles sont réduites à un rôle domestique et maternel, sans autonomie ni droits. Cette absence de pouvoir se traduit par une impossibilité à protéger leurs enfants, à gérer leurs revenus ou à fuir un mari violent. L’étude note que toutes les filles interrogées, sans exception, affirment qu’elles refusent que leurs propres enfants connaissent le même sort.
L’appel pressant de Plan International France
Pour Anne Bideau, directrice générale de Plan International France, « ces filles doivent être enfin reconnues comme un groupe à part entière, nécessitant des mesures spécifiques pour leur permettre d’accéder aux services essentiels et à leurs droits. C’est une urgence qui demande la mobilisation des gouvernements, des communautés et de toute la société ».
L’ONG appelle à une mobilisation urgente autour de plusieurs priorités :
- Supprimer toutes les exceptions légales permettant de marier une mineure ;
- Financer des programmes de réinsertion scolaire, afin de donner une seconde chance aux filles contraintes d’abandonner leurs études ;
- Renforcer l’accès aux soins, à la contraception et à une éducation complète à la sexualité ;
- Développer des services de protection, allant de la lutte contre les violences conjugales au conseil juridique, en passant par des services de garde adaptés ;
- Placer l’égalité filles-garçons au cœur des politiques publiques, dans l’éducation, la santé, la protection et la justice.
Un combat mondial et intergénérationnel
Le rapport rappelle que les mariages précoces alimentent un cycle intergénérationnel : les enfants nés de ces unions, souvent dans la pauvreté, risquent à leur tour de reproduire ce schéma. Briser ce cercle vicieux passe par l’éducation et par une mobilisation conjointe des gouvernements, des communautés locales, des familles et de la société civile.
En donnant la parole à plus de 250 filles issues de divers horizons – rurales ou urbaines, avec ou sans handicap, mariées civilement, religieusement ou de manière coutumière –, Plan International France veut montrer l’ampleur du problème et rappeler une évidence : une enfant doit rester une enfant, jamais une épouse.