Face à une explosion des affaires de corruption – 234 signalées en 2024, soit presque deux fois plus qu’il y a cinq ans – l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) tire la sonnette d’alarme et annonce un plan d’action anticorruption inédit. Sous l’impulsion de son nouveau directeur, Stéphane Hardouin, ancien magistrat, la “police des polices” entend s’appuyer sur la technologie et une cellule dédiée pour traquer les dérives au sein des forces de l’ordre.
La création d’une délégation nationale anticorruption
Le constat est sévère : selon le rapport, les atteintes à la probité – corruption, trafic d’influence, détournements, violations du secret professionnel — connaissent une hausse marquée, notamment dans les zones de forte pression du narcobanditisme.
Pour y répondre, l’IGPN a décidé la création, effective au 1er septembre 2025, d’une Délégation nationale anticorruption (DNAC). Cette nouvelle entité agira « de manière proactive », en lien avec les offices centraux de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière.
Cette structure aura pour mission de détecter, prévenir et enquêter sur les faits de corruption active ou passive, les consultations illicites de fichiers et la vente de données confidentielles sur les réseaux sociaux ou le “dark web” – un phénomène que l’IGPN décrit comme « une uberisation du trafic d’informations ».
Les dérives numériques, nouveau champ de bataille
Le rapport souligne que le numérique est devenu à la fois un outil de contrôle et un vecteur de dérive. Les consultations illégales des fichiers policiers (TAJ, SIV, FPR) se multiplient, portées par l’usage des terminaux professionnels NÉO permettant des requêtes multiples à distance. En 2024, 76 enquêtes ont été ouvertes pour détournement de fichiers, un niveau record.
Certaines de ces données sont revendues sur des réseaux sociaux ou à des intermédiaires liés au trafic de stupéfiants. L’IGPN prévoit donc le déploiement de nouveaux outils de détection automatisée et un renforcement du contrôle interne des accès aux bases sensibles.
Pressions, corruption et “ripoux” : une vigilance renforcée
Le rapport 2024 documente aussi la montée des pressions exercées par les trafiquants sur certains agents, dans un contexte où la porosité entre forces de l’ordre et milieux criminels inquiète. « Ce commerce mortifère n’hésitera pas à exploiter nos vulnérabilités pour affaiblir la riposte régalienne », avertit le directeur Hardouin dans son avant-propos.
L’IGPN veut ainsi reprendre la main sur la prévention et la sanction. En 2024, elle a enregistré plus de 900 enquêtes judiciaires, dont 66 pour des faits de corruption ou d’abus de fonction, et 93 pour violation du secret professionnel. Le service souligne par ailleurs la hausse des faux procès-verbaux et des vols dans les scellés, indicateurs d’un malaise déontologique.
Restaurer la confiance : la déontologie comme colonne vertébrale
Pour l’IGPN, cette offensive anticorruption s’inscrit dans une stratégie plus large de restauration de la confiance entre la police et la population. Le rapport rappelle que la déontologie demeure « la colonne vertébrale d’une force de sécurité républicaine ». L’institution souhaite diffuser une véritable “culture de la probité”, notamment via la Charte des valeurs fondée sur trois piliers : exemplarité, objectivité, expertise.
Enfin, le service compte animer un réseau territorial de cellules déontologiques, mieux faire connaître la plateforme Signal-Discri (signalement interne des discriminations et manquements) et développer une formation continue centrée sur l’éthique professionnelle.
Un tournant numérique et moral
Le rapport 2024 marque ainsi un tournant stratégique pour la “police des polices”. L’IGPN veut passer d’une logique réactive à une logique préventive et technologique, tout en réaffirmant sa double exigence : impartialité et transparence. « La légitimité de notre action repose sur la vérité des faits, à charge et à décharge, en toute indépendance », conclut Stéphane Hardouin.