Il n’y a pas eu de longs discours, seulement un silence dense, chargé d’émotion et de colère contenue. Ce samedi 22 novembre 2025, près d’une centaine de personnes se sont rassemblées place de la Libération, à Dijon, à l’appel de la Ligue des droits de l’Homme (LDH). Le mot d’ordre était clair : un rassemblement sans banderole ni drapeau, en écho à l’appel national des marches blanches « Justice pour Mehdi ».
Parmi les participants figuraient plusieurs élus locaux : Nathalie Koenders, maire de Dijon, Jérôme Durain, président de la Région Bourgogne–Franche-Comté, Thierry Falconnet, maire de Chenôve, ainsi que les parlementaires Pierre Pribetich et Catherine Hervieu. Tous se sont joints à la foule dans un recueillement silencieux.
Ce rassemblement visait à honorer la mémoire de Mehdi Kessaci, 20 ans, frère cadet du militant écologiste et anti-drogue Amine Kessaci. Le jeune homme a été abattu le 13 novembre 2025 à Marseille par deux hommes circulant à moto. Une exécution qui pourrait être, selon les premiers éléments de l’enquête, un « crime d’avertissement » perpétré par des réseaux de narcotrafic.
Dix jours après l’assassinat, l’émotion demeure vive. À Marseille, un important rassemblement a eu lieu au rond-point Claudie d’Arcy, sur le lieu même du drame. Selon la préfecture de police, jusqu’à 6 200 personnes se sont mobilisées pour rendre hommage au jeune homme, témoignant de l’ampleur de la sidération et du soutien apporté à la famille Kessaci.

À Dijon, un manque de moyens chronique
À Dijon comme ailleurs, le manque de moyens pour les services de police est criant face aux narcotrafiquants. À cette fragilité structurelle s’ajoute la réforme de la police nationale, entrée en vigueur en janvier 2024, dont les résultats apparaissent aujourd’hui en demi-teinte.
Selon un rapport rendu public le 15 octobre devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, les députés Thomas Cazenave (Ensemble) et Ugo Bernalicis (LFI) dressent un premier bilan nuancé de cette réorganisation, la plus ambitieuse depuis 1966, qu’ils jugent « inaboutie ».
La réforme a fusionné toutes les directions d’un département – renseignement, sécurité publique, police judiciaire et police aux frontières – sous l’autorité d’un directeur départemental, lui-même placé sous la tutelle du préfet. Ce bouleversement avait suscité une forte contestation, notamment chez les personnels de la police judiciaire.
Des avancées limitées et des inquiétudes persistantes
La départementalisation a bien permis de mettre fin au fonctionnement en silos des anciennes directions centrales et d’offrir davantage de marges de manœuvre locales. Mais pour les deux rapporteurs, il reste difficile d’affirmer que la réforme apporte une réelle efficacité supplémentaire.
Plusieurs critiques majeures émergent :
- Un risque de “repli départemental”, en particulier pour la police judiciaire, qui pourrait perdre une vision globale indispensable à la lutte contre les réseaux criminels. « La départementalisation n’est pas la maille pertinente », alerte Ugo Bernalicis.
- Un niveau de responsabilité devenu flou entre les échelons départemental et zonal. « Le niveau zonal se cherche parfois une raison d’être », constate Thomas Cazenave.
- Une déconcentration des moyens inexistante, voire une recentralisation des effectifs opérationnels au niveau zonal.
- Aucune amélioration de l’attractivité de la filière judiciaire, pourtant en crise profonde.
Certains acteurs estiment même que la réforme a aggravé des difficultés déjà anciennes, en détournant des moyens de la PJ vers des enjeux strictement locaux, au détriment des enquêtes de fond sur la criminalité organisée.
Deux visions opposées pour sortir de l’impasse
Les deux députés s’accordent sur le diagnostic, mais divergent sur les solutions.
- Ugo Bernalicis plaide pour créer une véritable direction générale de la police judiciaire, sur le modèle de la DGSI, afin de recréer un « grand silo cohérent » et de mieux coordonner les moyens.
- Thomas Cazenave, au contraire, refuse tout retour aux silos, estimant qu’ils nuiraient à la cohérence de l’action policière et dilueraient les responsabilités. Il prône plutôt une meilleure coordination inter-filières et une mutualisation accrue des moyens.
Tous deux s’accordent néanmoins sur un point essentiel : la crise de l’investigation nécessite une réponse spécifique, massive et urgente. Ce premier bilan, établi moins de deux ans après l’entrée en vigueur de la réforme, appelle d’autres évaluations, mais aussi des décisions politiques fortes.
Au-delà de l’hommage rendu à Mehdi Kessaci, les rassemblements qui se sont multipliés en France ce samedi 22 novembre 2025 rappellent l’urgence d’une prise de conscience collective. Face à une criminalité qui se réinvente et progresse plus vite que les institutions censées la combattre, les citoyens expriment à la fois leur solidarité et leur exaspération. Le silence observé à Dijon, comme ailleurs, ne doit pas rester sans réponse : il appelle à des choix politiques courageux, à des moyens renforcés et à une stratégie cohérente pour restaurer la confiance, protéger les populations et faire reculer les réseaux qui minent le pays. Reste à savoir si cet appel silencieux sera enfin entendu.









