À quelques mois des municipales, un nouveau visage émerge au premier plan de la gauche dijonnaise : Michel Haberstrau, longtemps engagé dans le milieu associatif, ancien colistier de Stéphanie Modde en 2020 et désormais tête de liste d’une large coalition allant des écologistes aux communistes, en passant par Génération.s et l’Après. Peu connu du grand public malgré un ancrage local solide, ce Dijonnais d’adoption depuis 35 ans incarne l’ambition d’un profond changement politique, résumé dans un mot d’ordre assumé : « Dijon change d’ère ». Ingénieur agroalimentaire, directeur de l’IFRIA Bourgogne–Franche-Comté, joueur d’échecs, cycliste régulier et militant convaincu de l’éducation populaire, Michel Haberstrau revendique une vision collective et coopérative de l’action publique.
Alors que la majorité sortante se prépare à défendre un bilan de plus de deux décennies, et qu’un paysage électoral morcelé se dessine à gauche comme à droite, le candidat entend poser une alternative « sociale, écologique et démocratique » fondée sur la rupture. Au fil de cet entretien, il revient sur son parcours, détaille sa conception de l’écologie politique, s’exprime sur les alliances possibles et précise comment il espère redonner goût à la participation citoyenne dans un contexte de forte défiance démocratique.
Après avoir été sur la liste de Stéphanie Modde en 2020, vous voilà propulsé comme tête de liste d’une union large, allant des communistes aux écologistes en passant par Génération.s et l’Après. Si les milieux militants vous connaissent, ce n’est pas le cas du grand public. Alors, Michel Haberstrau, pouvez-vous nous parler de vous afin que les Dijonnaises et les Dijonnais vous connaissent mieux ?
Michel Haberstrau : Joueur d’échecs, amateur de tennis et adepte de randonnées à vélo, mais aussi et surtout militant associatif dans les domaines de l’éducation populaire et de la coopération internationale. Ces activités disent beaucoup de moi : une vision à court, moyen et long terme de l’action née de l’écoute des différentes parties, une endurance certaine dans les projets menés, et l’attention aux autres, indispensable pour avancer ensemble.
En couple et père de deux jeunes adultes, je vis à Dijon depuis 35 ans. Ingénieur agroalimentaire de formation, je dirige aujourd’hui l’IFRIA Bourgogne–Franche-Comté, un organisme qui forme les jeunes par l’apprentissage et accompagne les salariés dans l’évolution de leurs compétences. Mon engagement citoyen s’est d’abord construit dans l’éducation, au sein de la FCPE et des conseils d’administration de lycées dijonnais. J’ai ensuite créé l’association Eveil’O’Goût, dédiée à l’éducation populaire alimentaire, et je suis administrateur d’une ONG qui soutient les petites entreprises alimentaires en Afrique de l’Ouest.
En 2020, j’ai rejoint la liste de Stéphanie Modde avant d’adhérer à EELV, dont je suis aujourd’hui membre du comité politique régional. Si je m’engage aujourd’hui comme tête de liste, c’est parce que je veux améliorer concrètement la vie des Dijonnaises et des Dijonnais et préparer un avenir plus juste, plus durable pour les générations qui viennent, et un avenir plus coopératif.
Lors de la conférence de presse de présentation de l’alliance, vous avez nommé la liste « Dijon change d’ère ». Comment va se traduire ce changement, notamment vis-à-vis de la majorité sortante menée par N. Koenders et F. Rebsamen ?
Michel Haberstrau : « Dijon change d’ère », ce n’est pas un slogan. C’est un cap et une rupture assumée. Dijon a en effet besoin d’un vrai changement de cap : d’un projet cohérent, social et écologiste, qui ne se contente plus d’un vernis vert ou d’annonces déconnectées du terrain. La majorité sortante fonctionne depuis trop longtemps sur deux registres qui ne se rencontrent plus : d’un côté le discours, de l’autre la gestion technocratique. Nous voulons remettre du sens, du souffle et surtout du collectif dans la manière de conduire la ville.
Changer d’ère, c’est d’abord rompre avec les politiques menées depuis des années à Dijon : nous constatons la marque de fabrique de la sphère macroniste représentée par l’ancien maire et le MoDem : austérité budgétaire, privatisation progressive des missions de service public, verticalité des décisions, et trop souvent mépris de la parole citoyenne. On l’a encore vu avec le tracé du troisième tramway. Une ville ne se gère pas comme une entreprise. Et Dijon mérite mieux que des choix guidés par les alliances d’appareil ou les opportunités électorales.
Ensuite, ce changement d’ère se traduira très concrètement dans notre programme. Avec les écologistes, l’Après, les communistes, Génération.s et de nombreux citoyens engagés, nous portons un projet construit sur trois piliers :
- Reconquérir les services publics, avec une eau 100 % publique et une tarification plus juste, ou encore des expérimentations de sécurité sociale de l’alimentation pour garantir à chacun l’accès à une alimentation saine et locale.
- Transformer la ville pour affronter les défis climatiques, avec une vraie stratégie de mobilité active, des rues apaisées, un réseau cyclable enfin continu et sécurisé, la végétalisation accrue et la lutte contre les îlots de chaleur.
- Refonder la démocratie locale, c’est redonner du pouvoir d’agir aux habitants : un budget participatif à la hauteur, des conventions citoyennes pour les choix stratégiques, l’implication systématique des associations et des acteurs de l’ESS dans les politiques publiques, et un contrat de confiance renouvelé entre la ville et celles et ceux qui y vivent ; en résumé, mettre la démocratie coopérative au cœur de notre mode de fonctionnement.
Notre ambition est simple : préparer Dijon aux défis sociaux, climatiques et démocratiques qui viennent, et construire un avenir désirable pour les générations futures. Pas en restant spectateurs, mais en redonnant aux habitantes et habitants la place qu’ils n’auraient jamais dû perdre dans la décision publique. C’est cela, Dijon change d’ère : une rupture nette avec les pratiques actuelles, et un projet collectif qui remet l’écologie, la justice sociale et les citoyennes et citoyens au cœur de l’action.

Sitôt l’annonce de la liste faite, vos anciens camarades ayant fondé « Dijon écologie » ont expliqué que l’écologie n’était pas portée par une seule étiquette. Que leur répondez-vous ?
Michel Haberstrau : Il y a des étiquettes oui, des stickers qu’on colle puis qu’on retire quand ça ne nous arrange plus, et il y a des projets qui se tissent à la main avec précision, cohérence et dans une vision à long terme. Nous refusons de choisir une écologie jetable, superficielle et repositionnable.
L’écologie n’est sûrement pas là pour vernir un projet global qui la contredit et ne doit surtout pas être un outil de communication. C’est irresponsable vu la gravité des enjeux. Nous avons un besoin urgent d’un projet de transformation profonde, fondé sur des faits scientifiques, des projections à long terme et une méthode cohérente. À Dijon, cela signifie rompre avec des années de décisions prises sans direction écologique claire. Une écologie sérieuse, c’est une écologie qui s’engage à assurer la sécurité des habitants face aux risques à venir.
Voilà deux exemples concrets de ce qui ne va pas dans le projet de la majorité :
- D’abord l’urbanisme : depuis dix ans, Dijon connaît une intensification marquée de la bétonisation : densification mal maîtrisée, multiplication des programmes immobiliers privés, disparition progressive d’espaces naturels et d’îlots de fraîcheur, très faible part de renaturation réelle. Ce modèle urbain, hérité d’une logique de développement à tout prix, aggrave les îlots de chaleur, fragilise la biodiversité et réduit la robustesse de la ville face aux canicules. Ce n’est pas cela, une ville écologique. On ne prépare pas l’avenir en couvrant les sols ou en sacrifiant des espaces de respiration au profit de la promotion immobilière.
- Maintenant la mobilité : le dernier baromètre vélo d’EVAD est sans appel : Dijon obtient une note “D”. Malgré des annonces répétées, le réseau cyclable reste discontinu, incohérent et parfois dangereux. Certaines “pistes” ne sont que des effets de com’. Et des décisions récentes — comme l’exclusion des vélos de la rue de la Liberté — ont confirmé que l’écologie affichée ne se traduit pas dans les actes. Et c’est précisément là que le soutien de « Dijon écologie » pose question.
Car soutenir ce bilan, c’est soutenir :
- la bétonisation intensive,
- le manque d’ambition en matière de renaturation,
- l’absence d’un vrai plan vélo cohérent et sécurisé,
- et un modèle urbain qui n’anticipe pas les défis climatiques.
On ne peut pas dire que « l’écologie n’appartient à personne » tout en cautionnant des politiques qui, concrètement, affaiblissent la capacité de Dijon à affronter les crises climatiques, sanitaires et sociales.
Nous, nous préférons juger sur les faits, pas sur les déclarations. Et les faits montrent que le bilan n’est pas à la hauteur. Dit autrement : l’écologie des pots de fleurs, avec nous, c’est terminé. »
Vous avez également expliqué que l’alliance était ouverte aux autres partis et aux associations et citoyens se retrouvant dans le projet de « rupture ». Où en êtes-vous aujourd’hui vis-à-vis de la France insoumise et de Dijon Avenir notamment ?
Cette liste porte une véritable rupture : écologique, sociale et démocratique. Elle s’adresse à toutes celles et ceux — partis, associations, collectifs citoyens — qui veulent s’y engager pleinement. Avec la France insoumise, avec Dijon Avenir et avec d’autres forces locales, le dialogue reste ouvert. Mais il repose sur un principe simple : nous avancerons ensemble si nous partageons la même volonté de transformation profonde pour Dijon.
La droite a déjà trois candidats, le parti présidentiel a intronisé F. Khattabi, le RN-UDR a annoncé également être candidat. Il pourrait y avoir trois listes à la gauche de N. Koenders. Dans un paysage aussi morcelé, ne pensez-vous pas que cela constitue un boulevard pour la réélection de la majorité sortante ?
Michel Haberstrau : À ce stade de la campagne, alors que toutes les candidatures ne sont pas encore officiellement déclarées, il est prématuré de tirer des conclusions définitives. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que les Dijonnaises et les Dijonnais auront à se prononcer après 25 ans d’une gouvernance très concentrée autour d’une seule personne, qui a d’ailleurs annoncé vouloir se représenter et rester président de la métropole. Dans ce contexte, il est parfaitement légitime d’ouvrir une nouvelle page et d’offrir aux habitants un véritable choix. Notre responsabilité, c’est de construire une alternative solide, crédible et tournée vers l’avenir. C’est ce que nous faisons : écrire, avec les habitantes et les habitants, un projet de rupture, écologique, sociale et démocratique. La dynamique ne se juge pas au nombre de listes, mais à la capacité à proposer un chemin clair, cohérent et désirable pour Dijon — et c’est précisément ce que nous portons.
Comment imaginez-vous tirer votre épingle du jeu dans cette configuration ?
Michel Haberstrau : Notre force, c’est d’être bien plus qu’une liste écologiste. Nous sommes une gauche de rupture, capable de tenir ensemble trois piliers indissociables : l’écologie, le social et une démocratie coopérative.
La composition de notre équipe, les différents partis, les citoyennes et citoyens impliqués tirent le programme vers une ambition certaine, garantissant que la justice sociale ne sera jamais reléguée au second plan, mais avec une ligne écologiste exigeante et crédible. Et surtout, nous faisons vivre une méthode citoyenne dès à présent : programme co-construit avec les habitants, transparence, implication systématique des associations et de l’ESS, et présence dans les quartiers populaires, auprès des jeunes, auprès de celles et ceux qui ne votent plus parce qu’ils ne croient plus aux promesses. Cette manière de travailler est à l’image de ce que nous projetons d’appliquer au fonctionnement municipal. Loin de la simple consultation, nous ouvrons à la coopération citoyenne.
Face à une majorité sortante qui recycle les mêmes recettes depuis vingt ans, nous proposons une vraie rupture. Pas de vernis vert, pas de discours creux, pas de consultation pour la forme sans implication véritable : une alliance large, cohérente et sincère, qui donne aux Dijonnaises et aux Dijonnais les moyens de reprendre la main sur leur avenir.
C’est ça notre différence : nous ne voulons pas seulement changer d’ère, nous voulons changer les règles du jeu.
Le pays est traversé par une grande défiance à l’égard des politiques. La confiance dans les partis est brisée comme jamais. Comment pensez-vous amener les citoyens à aller aux urnes en mars prochain ? Et en portant quelles propositions ?
Michel Haberstrau : La défiance est réelle, nous ne pouvons pas le nier. Elle vient entre autres d’un sentiment d’éloignement entre les élus et les habitants. Notre liste Dijon change d’ère a été construite pour répondre à cela : elle n’est pas seulement portée par des partis, elle est aussi composée de citoyennes et citoyens engagés, qui connaissent les réalités du quotidien. Nous avons notamment dans l’équipe des membres ou salariés de plusieurs associations et syndicats investis dans les missions sociales, écologiques et citoyennes : Oxfam, Médecins Sans Frontières, Les Amis de la Terre, Collectif SSA21, EVAD, CGT…
Pour donner envie de voter, il faut des propositions qui améliorent concrètement la vie de toutes et tous. Nous en portons plusieurs : la maîtrise publique de l’eau avec une tarification plus juste, la gratuité des premiers mètres cubes pour les usages essentiels, la mise en place d’une Sécurité sociale de l’alimentation pour garantir l’accès à une nourriture saine et locale, et la transformation des écoles pour les rendre plus durables et accueillantes. Nous voulons aussi un vrai plan pour les mobilités actives, un réseau cyclable sécurisé, et rouvrir le débat sur la future ligne T3 du tramway. Enfin, nous nous engageons à une politique de logement qui lutte contre la précarité énergétique et préserve notre environnement, avec zéro artificialisation. Mais le programme s’étoffe et nous serons bientôt en mesure d’en présenter les mesures phares.
Quand nous parlons de coopération citoyenne, nous voulons aller bien au-delà des expériences passées de démocratie participative. Notre ambition est de reconstruire la confiance en donnant aux habitantes et habitants un véritable pouvoir d’agir : une écoute réelle, une co-construction effective et des décisions partagées sur les choix structurants pour notre ville. Dijon mérite d’ouvrir un nouveau chapitre : écologique, social et démocratique. C’est cette nouvelle ère que nous proposons de démarrer ensemble.
