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La question circule désormais largement dans les conversations dijonnaises : la campagne électorale doit-elle s’inviter dans les réunions publiques consacrées à la présentation du budget municipal ? La soirée du mardi 2 décembre 2025, organisée au gymnase des Bourroches, a apporté un début de réponse — et le moins que l’on puisse dire est que l’exercice a mis les nerfs de chacun à l’épreuve.
Un calendrier chamboulé pour éviter les risques juridiques
Comme chacun le sait désormais, la maire de Dijon, Nathalie Koenders, a ouvert hier soir la première des trois réunions publiques dédiées à la présentation du budget 2026. Une initiative qui, cette année, prend une dimension particulière : les élections municipales auront lieu en mars prochain. Consciente des contraintes de la pré-campagne, l’édile a tenu à « respecter strictement les règles », organisant ces réunions plus tôt que de coutume, avant le vote du rapport d’orientations budgétaires prévu le 15 décembre.
Mais si le cadre se voulait maîtrisé et juridiquement irréprochable, l’ambiance, elle, s’est rapidement échappée du périmètre strictement informatif.
Des militants de Dijon Avenir mettent la réunion sur un terrain politique
Tout bascule lors du temps de questions du public. Parmi les participants se trouvent plusieurs militants du mouvement citoyen Dijon Avenir, déjà engagé dans la bataille municipale de mars 2026. Deux d’entre eux prennent successivement la parole, entraînant la réunion dans un débat politique ouvert — précisément ce que la maire voulait éviter.
Première intervention : écologie, cadre légal et mise au point
La première prise de parole porte sur la « crise climatique ». Avant même de répondre, Nathalie Koenders rappelle fermement les règles : « Pas de propagande, pas de bilan. » Elle accepte néanmoins d’esquisser une réponse, défendant ce qu’elle appelle une « écologie pragmatique », à rebours, selon elle, d’une approche « dogmatique ». Elle cite notamment le projet européen Response, déployé à la Fontaine d’Ouche, destiné entre autres à réduire les factures énergétiques des habitants.
« Il y a l’écologie dogmatique et l’écologie pragmatique, celle que les gens voient au quotidien », ajoute-t-elle, assumant un ton plus tranché que celui d’une réunion strictement technique.
Deuxième intervention : un exposé politique structuré et offensif
C’est alors qu’un autre militant de Dijon Avenir prend la parole. Très préparé, il transforme son intervention en un véritable discours programmatique. Pendant plusieurs minutes, il déroule chiffres, constats, propositions et orientations stratégiques. Ses mots sont précis, calibrés, et visent un sujet particulièrement sensible : la rénovation thermique des logements.
Il déclare notamment : « Madame la Maire, Le budget que vous venez de nous présenter n’est qu’un projet qui n’a donc pas encore été adopté par le Conseil Municipal, on peut donc proposer des modifications.
Aujourd’hui à Dijon comme sur la Métropole, 28 % des logements sont des passoires thermiques c’est-à-dire classés E, F, G dans lesquels les habitants vivent le froid l’hiver et la fournaise l’été et qui dans les prochaines années ne pourront plus être reloués. Ca fait
28 000 logements à Dijon. Selon un récent bilan publié par vos services, en moyenne chaque année seulement 90 logements sont subventionnés par la collectivité pour des travaux d’amélioration énergétique, pour un coût annuel de moins de 500 000 € pour la Ville.
A ce rythme, il faudra 300 ans pour rénover l’ensemble du parc et assurer des logements confortables à tous les habitants ! Il faut aller beaucoup plus vite, d’autant que les vagues de chaleur vont augmenter en fréquence et en intensité !
Je vous propose donc d’engager la collectivité dans un soutien résolu et massif pour la rénovation thermique des logements, en multipliant le budget de subventions, non pas par 2 ou 3, mais par 10 dès l’année prochaine, pour 5 millions d’euros annuels.
Je propose de prendre ces crédits sur les budgets affectés actuellement à l’attractivité du territoire, qui me semble être un enjeu très secondaire par rapport à la protection du pouvoir d’achat et de la santé des Dijonnaises et Dijonnais face à la hausse continue des prix de l’énergie et à l’augmentation des vagues de chaleur.
Pour le mouvement Dijon Avenir dont je fais partie et qui présente une liste citoyenne aux élections municipales, c’est une priorité absolue de garantir à chaque foyer un logement bien isolé qui protège efficacement à la fois des vagues de chaleur et de l’inflation des prix de l’énergie. Cette exigence impose donc d’aller beaucoup plus vite en fléchant des crédits massifs vers la rénovation thermique. Si les Dijonnaises et Dijonnais nous font confiance, nous mettrons en œuvre un vaste “plan logement pour tous” qui sera présenté très prochainement. »
Avec ce discours long, construit et clairement tourné vers les élections, l’intervention dépasse largement le cadre d’une simple question budgétaire, selon Nathalie Koenders.
Une interruption du temps de questions et une salle divisée
Face à ce qu’elle considère comme un détournement de la réunion, Nathalie Koenders choisit d’interrompre le temps de questions. La décision surprend et divise : certains applaudissent, d’autres murmurent leur désapprobation. Plusieurs habitants quittent la salle, déçus de n’avoir pu ni poser leurs questions, ni entendre une réponse à l’exposé formulé.
La maire déclare alors : « Des habitants sont venus pour écouter la présentation du budget. Cette réunion est pour eux, pas pour faire de la politique. Je suis désolée pour ceux qui avaient de vraies questions. » L’expression « vrais habitants », entendue un peu plus tôt, suscite de nouveau des réactions. Certains y voient une mise à l’écart des militants politiques, d’autres une simple maladresse de formulation. Mais le mal est fait : le dialogue est rompu.
Dijon Avenir dénonce une censure politique
Le mouvement citoyen publie rapidement un communiqué. Il déplore une décision « injustifiée » et estime qu’à seulement « 100 jours des municipales », il est normal que les visions politiques se confrontent, surtout lors de réunions où le budget — acte intrinsèquement politique — est présenté avant même son vote.
Selon eux, rien n’interdit légalement d’interroger ou contester un projet budgétaire qui sera appliqué par la future majorité municipale, quelle qu’elle soit.
Dijon Avenir souligne également qu’il est inhabituel que la présentation publique du budget se fasse avant son adoption. À leurs yeux, l’équipe municipale a elle-même déplacé les règles du jeu en avançant le calendrier, ouvrant la porte à un débat plus politique.
Un débat plus large : peut-on séparer politique et démocratie locale ?
La soirée pose une question fondamentale : où s’arrête l’information et où commence la politique ? Les réunions de quartier et de budget attirent traditionnellement beaucoup de monde. Elles offrent un rare espace de dialogue direct avec les élus. Dans un contexte pré-électoral, elles deviennent un lieu stratégique où chacun tente de faire entendre sa voix.
Le budget lui-même est un document politique : il trace les priorités, les choix, les orientations. Qu’un mouvement citoyen souhaite y réagir n’a rien d’illégitime en soi. Mais la municipalité affirme de son côté que la pré-campagne impose un strict respect du cadre légal, qui interdit toute forme de propagande déguisée. L’équilibre est fragile. Mardi soir, il a rompu.
Et maintenant ?
La prochaine réunion publique se tiendra jeudi 4 décembre à 18h30, salle Devosge. Reste à savoir :
- comment la maire va cadrer les interventions ;
- si les militants vont de nouveau se mobiliser ;
- si la parole citoyenne pourra s’exprimer sans être confisquée par les stratégies de campagne ;
- et si, plus largement, le débat démocratique peut coexister avec la pré-campagne sans exploser.
Une chose est certaine : l’épisode des Bourroches aura marqué la séquence politique dijonnaise. Affaire à suivre.
