Depuis le mercredi 10 décembre 2025, la rédaction est submergée par une vague de communiqués de presse émanant des partis de gauche. Du Parti communiste français à Génération.s, en passant par l’APRèS et plusieurs autres formations politiques, tous dénoncent avec vigueur un même événement : le soutien affiché du parti Reconquête à Emmanuel Bichot, récemment investi par la commission d’investiture des Républicains (LR).
Une convergence rare, tant dans le ton que dans le fond, qui traduit une indignation profonde et largement partagée à gauche. Pour ces partis, ce soutien marque un tournant politique inquiétant et révèle, selon eux, une porosité désormais assumée entre la droite traditionnelle et l’ultra-droite.
Une pluie de communiqués et une indignation unanime
À peine l’information rendue publique que les réactions se sont multipliées. À la rédaction, les boîtes mail n’ont cessé de se remplir de textes dénonçant ce que beaucoup qualifient de « franchissement de ligne rouge ». Tous les communiqués reçus vont dans le même sens : ils condamnent le fait que Reconquête, parti d’Éric Zemmour, apporte son soutien à Emmanuel Bichot, figure désormais officiellement investie par Les Républicains.
Pour la gauche, cette alliance de fait – même si elle n’est pas formalisée par un accord écrit – ne peut être considérée comme anodine. Elle serait, au contraire, révélatrice d’une recomposition idéologique profonde à droite, où les digues entre conservateurs traditionnels et extrême droite se fissureraient dangereusement.
L’analyse de l’APRèS : une droite en quête de survie politique
Dans son communiqué, l’APRèS livre une lecture particulièrement sévère de la situation. Le parti estime que cette désignation intervient dans un contexte de grande fragilité pour Les Républicains. Affaibli par des échecs électoraux successifs, le parti gaulliste serait aujourd’hui, selon ses termes, « démonétisé et supplanté par le Rassemblement national ».
Face à cette perte d’influence, LR chercherait à consolider ses positions par tous les moyens, quitte à renoncer à ce qui faisait jusqu’alors sa singularité politique. Pour l’APRèS, le soutien de Reconquête à un candidat investi par LR illustre une stratégie de survie : celle de faire sauter les dernières barrières idéologiques qui séparaient la droite classique de l’ultra-droite.
Une stratégie jugée dangereuse, non seulement pour l’équilibre démocratique, mais aussi pour la clarté du débat politique, tant elle brouille les repères traditionnels.
Une alerte démocratique partagée par toute la gauche
Du côté du Parti communiste comme de Génération.s, le constat est similaire. Les communiqués évoquent une banalisation progressive des idées portées par l’extrême droite, désormais accueillies sans réserve dans des formations historiquement républicaines.
Certains textes parlent même d’un « glissement idéologique assumé », d’autres d’un « renoncement moral ». Tous s’accordent toutefois sur un point : ce soutien constitue un signal politique fort, qui dépasse largement le cadre d’une simple élection locale.
Pour ces partis, l’enjeu n’est pas seulement électoral, mais profondément démocratique. Ils redoutent que cette alliance contribue à légitimer des discours et des projets politiques qu’ils estiment incompatibles avec les valeurs républicaines, sociales et humanistes.
Une question centrale : le second tour et la stratégie du barrage
Au-delà de l’indignation immédiate, une question majeure se pose désormais, et elle traverse l’ensemble de la gauche : que se passera-t-il au second tour des élections municipales ?
À titre d’exemple, si Nathalie Koenders venait à se qualifier pour le second tour face à Emmanuel Bichot ou Thierry Coudert (Rassemblement Dijonnais), quelle serait la position de l’ensemble de ces partis ? Feront-ils barrage à Emmanuel Bichot, soutenu par Reconquête ? Ou à Thierry Coudert, selon le contexte ? Appelleront-ils clairement à voter pour Nathalie Koenders (si celle-ci est candidate) ?
Cette interrogation est loin d’être théorique. Elle renvoie à une question stratégique et morale fondamentale : celle du front républicain, dont l’efficacité et la pertinence sont de plus en plus débattues.
Le dilemme du front républicain
Depuis plusieurs années, la stratégie du barrage à l’extrême droite est remise en question, y compris à gauche. Certains estiment qu’elle a montré ses limites, d’autres qu’elle reste indispensable pour empêcher l’arrivée au pouvoir de candidats soutenus par l’extrême droite.
Dans le contexte actuel, ce dilemme est d’autant plus aigu que le soutien de Reconquête à Emmanuel Bichot brouille les frontières traditionnelles. Pour la gauche, la question n’est plus seulement de savoir contre qui faire barrage, mais aussi comment le faire sans perdre en crédibilité politique.
Appeler à voter pour Nathalie Koenders pourrait apparaître comme un choix de cohérence idéologique. Mais l’unité réelle de la gauche, souvent mise à mal par des divergences stratégiques, sera-t-elle au rendez-vous ?
Une recomposition politique sous haute tension
Cette séquence politique met en lumière une recomposition plus large du paysage partisan français. À droite, les alliances implicites ou explicites avec l’extrême droite semblent se multiplier. À gauche, l’indignation est forte, mais la question de la réponse concrète demeure ouverte.
Une chose est certaine : le soutien de Reconquête à Emmanuel Bichot agit comme un véritable révélateur. Il cristallise les tensions, accélère les débats internes et contraint chaque formation à clarifier sa position, tant vis-à-vis de ses électeurs que de ses partenaires potentiels.
À mesure que la campagne avance, ces choix pèseront lourdement sur l’issue du scrutin, mais aussi sur l’avenir des équilibres politiques locaux. Dans l’hypothèse d’un second tour opposant Emmanuel Bichot ou Thierry Coudert à Nathalie Koenders, une dynamique de rassemblement pourrait bien s’imposer : l’ensemble des forces de gauche, et plus largement leurs électeurs, se retrouveraient alors derrière la candidate de gauche, dans une logique de front commun.
Une telle situation illustrerait à quel point la période est politiquement éprouvante pour l’électorat de gauche, contraint de naviguer entre indignation, stratégies de barrage et nécessité d’unité. Voir, au second tour, des membres ou sympathisants de « Dijon change d’ère » se résoudre à voter Nathalie Koenders témoignerait de la complexité, voire de la tension, qui traverse actuellement la gauche locale. Une ambiance lourde, révélatrice des contradictions du moment, et une séquence politique qui mérite d’être suivie de près.
F. Bauduin
