Ce mercredi 24 décembre 2025, à 18h30, les regards des petits et des grands seront tournés vers la tour Philippe Le Bon : comme chaque année, le Père Noël effectuera sa spectaculaire descente sur la place de la Libération. Un rendez-vous incontournable, à la fois magique et insolite, qui fascine les enfants et continue d’intriguer les adultes.
Si ce spectacle est devenu une tradition dijonnaise, il plonge pourtant ses racines dans un épisode historique étonnant, survenu en 1951, qui opposa violemment le clergé à la municipalité de l’époque.
1951 : quand le Père Noël fut brûlé sur le parvis de Saint-Bénigne
Le 23 décembre 1951, un événement inattendu secoue Dijon. Sur le parvis de la cathédrale Saint-Bénigne, un mannequin représentant le Père Noël est brûlé publiquement devant près de 250 enfants issus des patronages catholiques. L’initiative est portée par une partie du clergé local, persuadée que le vénérable bonhomme à barbe blanche détourne Noël de son sens religieux.
L’Église, alors très conservatrice, voit dans le Père Noël une figure païenne, commerciale, usurpatrice et coupable de concurrencer la célébration de la naissance du Christ. Elle reproche même au « vieux magicien » de s’être introduit dans les écoles publiques, là où les crèches et les crucifix ont, eux, été bannis.
Dans un communiqué solennel publié ce jour-là, l’archevêché affirme : « Le Père Noël a été sacrifié en holocauste. À la vérité, le mensonge ne peut éveiller le sentiment religieux chez l’enfant et n’est en aucune façon une méthode d’éducation. »
L’affaire fait scandale et divise Dijon. D’un côté, le clergé le plus strict ; de l’autre, les laïcs… mais aussi de nombreux chrétiens modérés.
Une polémique nationale : écrivains et médias entrent en scène
L’affaire dépasse très vite les frontières de la ville. Le 26 décembre, l’hebdomadaire Carrefour publie une une provocatrice : « Accusé Père Noël, levez-vous ! »
Deux écrivains de renom se partagent alors les rôles :
- Gilbert Cesbron, catholique fervent, rédige le réquisitoire : « Des jouets ? Oh oui ! Mais que la crèche passe avant la cheminée ! »
- René Barjavel, futur maître de la science-fiction, signe le plaidoyer : « Laissons à l’enfance émerveillée son vieux magicien barbu. »
La querelle prend un tour national et agite tout le pays.
Félix Kir, le maire de Dijon, contre-attaque et ressuscite le Père Noël
Parmi les opposants à l’autodafé figure un homme inattendu : Félix Kir, chanoine et maire de Dijon depuis 1945. Bien que membre du clergé séculier, il condamne fermement l’initiative ecclésiale et décide de rétablir l’image du Père Noël… de manière spectaculaire.
Le 24 décembre 1951 au soir, il fait monter un pompier municipal, déguisé en Père Noël, sur le toit de l’Hôtel de Ville. Sous les projecteurs, le bonhomme rouge salue longuement les milliers d’enfants rassemblés place de la Libération, émerveillés par ce « retour à la vie » inespéré.
Le succès est tel que la descente du Père Noël devient un rituel annuel, reconduit chaque veille de Noël et ancré dans l’identité dijonnaise.
Une histoire analysée par Claude Lévi-Strauss
L’épisode ne laisse pas indifférent le célèbre anthropologue Claude Lévi-Strauss, qui publie en 1952 un texte devenu célèbre : « Le Père Noël supplicié », dans la revue Les Temps modernes.
Selon lui, en brûlant le Père Noël, les ecclésiastiques dijonnais ont paradoxalement renforcé sa dimension rituelle : « Sous prétexte de le détruire, ils ont eux-mêmes prouvé sa pérennité. »
Une tradition dijonnaise toujours vivante
Plusieurs décennies après cet épisode étonnant, Dijon perpétue la tradition née de cette polémique. Chaque année, la descente du Père Noël depuis la tour Philippe Le Bon attire une foule dense et ajoute une touche de magie aux fêtes de fin d’année.
Comme l’écrivait un témoin anonyme en 1951, dans Carrefour : « Saint-Nicolas ! Père Noël ! Petit Jésus ! Mêlée du vrai et du faux, du païen et du chrétien, de l’idéal et du réel. »
Un mélange qui, hier comme aujourd’hui, continue de faire parler — mais surtout, de faire rêver les enfants. Il devrait, comme chaque année, y avoir beaucoup de monde place de la Libération ce mercredi soir. Nous, nous y serons aussi — et peut-être même aurons-nous droit à une papillote !
