L’association L’APRÈS, récemment formée, fait déjà grand bruit. En Côte-d’Or, Arnaud Guvenatam, ex-militant de La France Insoumise, a intégré cette nouvelle entité qui promet de secouer le paysage politique à gauche. Il s’est prêté à notre jeu de questions-réponses, avec une honnêteté sans filtre.
Malgré leur exclusion qu’ils jugent antidémocratique de la formation politique qu’ils ont aidé à établir, ils n’abandonnent pas l’action politique. « Oui, nous avions des désaccords stratégiques. Pour autant, nous ne renonçons pas à l’action politique collective et à porter un projet de changement en profondeur de notre société. Nous refusons de nous enfermer dans des règlements de comptes. Nous voulons l’unité qui est la base de notre identité politique. Nous voulons agir en visant pour nous-mêmes la démocratie, en considérant le pluralisme comme une richesse », affirment-ils sur leur site web.
Les changements politiques à gauche s’annoncent majeurs. Arnaud Guvenatam s’exprime sans réserve, prêt à susciter encore de vives réactions !
Après avoir été exclu de la France insoumise, vous faites votre retour en politique avec l’Après, qui s’est récemment formé. Beaucoup pensent que c’est de l’opportunisme. Que répondez-vous à ceux et celles qui disent cela ?
Arnaud Guvenatam : Ce n’est pas tout à fait un retour, puisque je ne suis jamais parti. L’année passée, j’étais encore adhérent au Parti de Gauche, parti fondé par Jean-Luc Mélenchon en 2008 à sa sortie du PS, alors qu’il était élu socialiste au Sénat, jusqu’en 2010. Celles et ceux qui pensent que cette adhésion à l’APRÈS serait opportuniste sont essentiellement des insoumis actuels, qui sont, sur les réseaux sociaux, très bruyants et donnent d’ailleurs une image assez négative de leur propre mouvement. L’opportunisme aurait plutôt été de rejoindre une grosse écurie locale et implantée. Or, avec l’APRÈS, nous partons de zéro ou presque avec la constitution d’une association.
J’entends aussi que je serais un traître qui renierait ses convictions. Je milite depuis 15 ans sur une ligne de rupture avec le capitalisme, où les questions sociales, écologiques et démocratiques sont au cœur des programmes successifs. L’APRÈS porte en son sein de nombreux militants pour l’égalité, pour la sixième République, pour le partage des richesses, pour une politique écologique ambitieuse qui ne serait pas du « greenwashing ». J’entends dans les réactions que mon adhésion à l’APRÈS embête certains, nous sommes cependant nombreux à nous regrouper avec l’idée de faire mieux, notamment dans les pratiques politiques.
C’est en toute cohérence et en résonance avec le moment politique que nous traversons que j’ai rejoint l’APRÈS.
Vous et Jean-Luc Mélenchon, est-ce aujourd’hui de l’histoire ancienne ?
Arnaud Guvenatam : Il faut rendre hommage à Jean-Luc Mélenchon. Il est et restera la personne qui a remis la gauche sur ses deux jambes, comme dirait François Ruffin. Il a fallu des années pour imposer la ligne de rupture nécessaire pour que la gauche puisse de nouveau prétendre à gouverner avec une politique digne de ce nom. Depuis son départ du PS, j’ai été de toutes ses campagnes, des européennes de 2009 jusqu’aux législatives du Nouveau Front Populaire de 2024. En 15 ans cependant, la situation politique n’est plus la même, et hier, dans le journal italien La Repubblica, Jean-Luc a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle en ces termes : « La lutte finale pour l’Élysée aura lieu entre moi et la fasciste Le Pen […] Je dirai aux Français : ‘Entre elle et moi, vous choisissez, mais ne croyez pas qu’il n’y aura pas de conséquences’ ».
Je ne sais pas si c’est de l’histoire ancienne, mais il est clair qu’à ce stade, le franchissement de la ligne de crête du premier tour de l’élection présidentielle puis de la victoire face à l’extrême droite semble extrêmement difficile. C’est d’autant plus vrai que l’on constate un rejet de sa personne de la part de 80% des Français.e.s.
Fidèle à sa théorisation de la conflictualité, qui fut utile dans d’autres temps politiques, il risque de faire imploser le NFP, alors qu’à mon sens, ce mouvement devrait être approfondi et dynamisé en permettant aux citoyens d’y adhérer directement. Il faut ancrer le NFP localement, dans la France des tours et des bourgs.
On voit beaucoup de commentaires, tels que : « La bande à Ruffin financée par le multimillionnaire Olivier Legrain continue d’essayer de démolir le NFP ». Que ressentez-vous lorsque vous voyez tous ces commentaires ?
Arnaud Guvenatam : Cela me fait sourire. Mais puisque ce genre de propos vise à déshonorer notamment François Ruffin en l’attaquant sur autre chose que sa ligne politique, je vais répondre sur ce mode. Olivier Legrain le millionnaire, cela laisserait penser que Ruffin serait acheté pour nuire au NFP. Jean-Luc Mélenchon n’était-il pas un ami de Serge Dassault, l’armurier milliardaire qui a mis en place un système de reversement de millions d’euros à des habitants de Corbeil-Essonnes pour gagner des élections ? Mélenchon n’était-il pas allé non plus à l’anniversaire des cinquante ans d’Éric Zemmour ? C’était d’ailleurs une soirée déguisée sur le thème de Napoléon au château de Malmaison…
On voit bien que ce genre de considérations ne mène nulle part. Il vaudrait mieux que les détracteurs des « purgés insoumis » se concentrent sur les questions programmatiques et jettent leur énergie à attaquer l’extrême-droite plutôt que nous. Cela relèvera un peu le niveau lamentable du débat politique français actuel.
Comment l’Après compte-t-il travailler avec d’autres forces de gauche et écologistes pour maintenir l’unité nécessaire au niveau national et au niveau local ?
Arnaud Guvenatam : Le but de l’APRèS est d’approfondir, d’enraciner localement et de pérenniser l’outil indispensable à la victoire de la gauche qu’est le Nouveau Front Populaire. Cela va passer par la nécessité de mettre toutes les parties prenantes du NFP autour de la table, pour que nous puissions discuter à bâtons rompus et avancer ensemble face à la vague de l’extrême droite sans se perdre dans des alliances contre nature avec des extrêmes-libéraux par exemple.
Nos députés de l’APRÈS sont membres de GES (Groupe Écologiste et Social) à l’Assemblée nationale. Cela permet de travailler de concert avec les partis constituant le pôle écolo (Les Écologistes, Génération.s notamment). Dans ce contexte, je souhaiterais par exemple que des rencontres aient lieu régulièrement avec les membres du NFP afin que nous mettions en place des actions locales, que nous parlions de façon unitaire sur des sujets concernant la vie de nos concitoyens et que cela puisse impulser un engagement citoyen fort.
Nationalement, le travail parlementaire devrait figer un certain nombre de convergences sur le programme et sur les votes des différentes entités constituant le NFP. L’unité du NFP peut également passer par là.
Qui voyez-vous à Matignon pour représenter le Nouveau Front Populaire ?
Arnaud Guvenatam : Nous avons vécu une crise autour des noms de Mélenchon, de Faure, de Bello ou encore de Tubiana qui vient visiblement de jeter l’éponge. Les noms de Cécile Duflot ou encore de Benoît Hamon sont vraisemblablement discutés pour le poste de Premier Ministre du NFP. Pour ma part, le profil d’Huguette Bello est celui qui permettrait de fédérer largement. Elle est connue à l’Assemblée nationale, elle préside La Réunion, son expérience est une base solide pour gouverner, et personne ne peut penser que le programme ne serait pas respecté et que si des compromis devaient être trouvés, ils seraient acceptables pour toutes les parties. Ceci étant dit, si un autre profil peut permettre de fédérer le NFP autour de son programme de rupture, j’en serai tout à fait satisfait. Tout n’est pas qu’une question de personne, quand bien même cela peut avoir son importance. J’espère sincèrement qu’un nom du NFP sortira, parce que si le résultat est que Macron reprend la main en faisant une coalition minoritaire avec la droite, le risque d’embrasement social sera très grand… La responsabilité de la gauche est immense dans le moment politique.
Quelles sont les principales différences entre la vision de l’Après et celle de la France insoumise, et comment ces différences ont-elles influencé votre décision d’adhérer à l’Après ?
Arnaud Guvenatam : Je dirai que c’est le rapport à la gauche et à son unité qui est fondamentalement différent entre l’APRèS et LFI. Jean-Luc l’a dit, sur le nom du Premier Ministre, PCF, PS et EELV n’ont qu’à se mettre d’accord à trois sur un nom. Sous-entendu, LFI ne se salira pas les mains dans un gouvernement qui risquerait de tomber rapidement, permettant, dans leur logique, de rester les « purs » qui n’auraient pas trahi, en vue de 2027. Comme dit plus haut, je trouve que cette stratégie est périlleuse quand le RN culmine à 11 millions de suffrages et que la candidature de JLM en 2022 n’en a recueilli que 7.
L’APRèS, de son côté, veut mettre l’unité du NFP au centre. Pourquoi ? Comme nous l’avons vu aux élections européennes, lorsque la gauche part séparée, elle disparaît du paysage politique. 13 % par ci, 9,9 % par là. Et 38 % pour les deux listes RN et Reconquête. Il y a donc un besoin urgent de se présenter au suffrage de façon unie. Et c’est bien pour cela que le NFP est arrivé en tête des élections législatives, alors que tous les sondeurs et tous les analystes n’avaient pas vu venir la victoire de la gauche !
Tant que les insoumis et les socialistes n’auront pas intégré que leur destin commun passera par l’unité de la gauche, le peuple sera condamné à choisir entre l’extrême-libéralisme et la casse sociale du bloc bourgeois et/ou le repli identitaire et xénophobe.
L’unité n’était ni possible, ni souhaitable avant 2022, car il fallait que les électeurs se positionnent une bonne fois pour toutes sur la base idéologique de la gauche, entre social-libéralisme d’une part et gauche de rupture sociale, écologique et démocratique d’autre part. Maintenant que même le PS, dans son aile la plus libérale, ne peut exister qu’au travers du programme de rupture du NFP, la question est entendue. Il n’y a plus de raison politiquement valable pour qu’un.e candidat.e unique du NFP ne nous représente pas à la présidentielle de 2027. Cette candidate ou ce candidat verrait ses chances de battre Marine Le Pen augmenter considérablement. Nous le devons aux citoyens, car c’est ce qu’ils expriment fortement, cette nécessité d’unité. C’est ce à quoi l’APRèS compte travailler.
Quel est votre point de vue sur la proposition de passer à une 6e République ? Quels changements spécifiques souhaitez-vous voir dans cette nouvelle structure gouvernementale ?
Arnaud Guvenatam : Mon point de vue reste inchangé. Elle est absolument nécessaire. À mon sens, elle doit réduire le pouvoir de la présidence de la République. L’Assemblée devrait être représentative des votes des citoyens. Pourquoi ne pas imaginer une liste unique de chaque parti de 577 candidates et candidats qui seraient élu.es à la proportionnelle ? La fin du régime semi-présidentiel et le passage à un régime parlementaire me semblent mieux correspondre aux aspirations des citoyens. L’idée de permettre une plus grande intervention populaire à travers la mise en place de référendums ou de propositions de lois serait aussi de nature à renforcer l’implication des Français dans les affaires de l’État. Bref, rien de bien nouveau par rapport à ce que la gauche de rupture porte depuis une vingtaine d’années. Mais j’ai le sentiment que la Cinquième République vit ses dernières années avec le résultat de ces élections législatives anticipées.
Le Nouveau Front Populaire sera-t-il selon vous une réussite ?
Arnaud Guvenatam : Je ne lis pas dans le marc de café ni dans les foies de volaille, mais j’espère que le NFP sera pérenne et réussira à prendre le pouvoir sur son programme de rupture. Les urgences sociales, écologiques et démocratiques sont plus que jamais d’actualité.
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