Face à la récente proposition du gouvernement d’augmenter les jours de carence dans la fonction publique ainsi que d’amputer la rémunération des fonctionnaires de 10% pendant les trois mois de congé maladie ordinaire, nous avons souhaité solliciter l’avis d’un responsable syndical local. Théo Contis, co-secrétaire départemental de l’Union Syndicale Solidaires 21, a accepté de répondre à nos questions sur le sujet.
Dijon Actualités : Bonjour, nous aimerions avoir votre avis sur la proposition du Ministre de la Fonction Publique M. Kasbarian qui souhaite augmenter le nombre de jours de carence en cas d’arrêt-maladie des fonctionnaires ainsi qu’amputer la rémunération associée. Qu’en pensez-vous ?
Théo Contis : Très clairement, nous sommes ici dans un cadre flagrant de populisme doublé d’une démagogie ultra-libérale totalement contre-productive. C’est une déclaration de défiance qui consiste à faire croire que les personnels de la fonction publique s’arrêteraient par confort. Toutes les études sur la question montrent que c’est faux, et qu’il s’agit même de l’inverse. En effet, les agents publics -comme les salariés du privé- déclarent à la majorité se rendre au travail tout en étant malades.
Surtout, le propos du ministre fait croire qu’il est justifié par des chiffres auxquels on fait dire tout et n’importe quoi. De tels propos sont un fléau pour le débat et la démocratie.
Dijon Actualités : Oui mais justement les chiffres ont l’air de conforter le ministre dans sa critique de l’absentéisme dans la fonction publique, ne considérez-vous pas qu’il peut parfois y avoir des abus ?
Attention et prenons le temps, car l’on fait dire ce que l’on veut aux chiffres et encore plus en temps de cacophonie politique générale et de coupes budgétaires drastiques. Si vous le souhaitez, on peut regarder brièvement ces fameux chiffres.
Depuis 48h, il est dit partout dans les médias qu’en moyenne les fonctionnaires sont absents 14,5 jours par an contre 11,6 jours pour les salariés du privé. Soit. Mais derrière de telles données, il faut regarder la qualité de ces chiffres, il faut entrer dans les détails.
Tout d’abord, on rappellera qu’il y a différentes fonctions publiques, différents employeurs, différents « corps » de fonctionnaires et que lorsque l’on regarde dans le détail et avec minutie alors la réalité est bien différente que de simples moyennes insipides.
Ensuite, on va le dire car ce n’est jamais évoqué dans les médias mais là où l’absentéisme est le moins fort chez l’ensemble des salariés c’est la fonction publique d’Etat où la durée moyenne est 10,8 jours. Il est de bon ton de le rappeler. Après, effectivement, oui l’absentéisme est légèrement supérieur dans la Fonction Publique Hospitalière (18,1 jours par an) et dans la Fonction Publique Territoriale (17,1 jours mais avec de très fortes disparités en fonction du type de collectivités).
Ce que nous voulons dire c’est qui est capable d’affirmer que les agents de la FPH ont des conditions de travail dignes qui ne génèrent pas de souffrance, de maltraitance et de burn-out ? Si c’était si simple, ça se battrait pour aller travailler à l’hôpital, or cela n’est pas le cas, non ?
Pareil dans le cadre de la FPT, il faut regarder avec minutie les chiffres car là encore la réalité est très complexe. Il y a par exemple, des écarts significatifs entre petites et grandes collectivités, cette situation met en avant deux choses : la première c’est qu’il y a énormément de corporations usantes dans la FPT (les personnes qui travaillent à la voirie, à la propreté, etc) et où il n’est pas étonnant que les corps soient fatigués ou blessés ; la seconde c’est l’illustration de règlements de compte politiques avec des « placardisations » d’agents mais aussi les effets néfastes du new public management avec des personnes non-formées aux « ressources humaines » et qui génèrent des maltraitances lourdes. Il me semble que votre média en a souvent parlé ces derniers temps.
Dijon Actualités : mais ne pensez-vous que comme le dit le ministre, qu’une harmonisation est à souhaiter entre les différents salariés ?
Si, tout à fait d’accord pour une harmonisation mais uniquement si celle-ci est faite par le haut et en faveur de l’ensemble des salariés public et privé. D’ailleurs, les politiques se gardent bien de dire qu’il n’y a déjà pas d’harmonisation au sein des salariés du privé. En effet, près de 70 % des salariés du privé, et tant mieux pour eux soyons très clairs, ne subissent pas les jours de carences, ni d’amputation de revenus en cas d’arrêt-maladie du fait d’accords de branche ou d’entreprise et ça, il faut le dire. Là encore, ce qui est demandé pour la fonction publique n’est pas appliqué de la sorte dans le privé.
Lorsque l’on parlait de populisme tout à l’heure, c’est qu’à chaque fois, les politiciens déforment la réalité pour faire passer leurs idées ultra-libérales, cela est un vrai problème ! Car ici l’objectif c’est juste de faire des économies sur le dos des travailleuses et travailleurs de la fonction publique car ils ont géré le budget de l’Etat comme des rigolos en faisant des cadeaux aux grandes entreprises et aux plus aisés ; et que pour se sauver d’une catastrophe budgétaire annoncée, ils n’ont rien trouvé d’autre que diminuer la rémunération et le pouvoir d’achat des agents de l’Etat. Le libéralisme c’est relativement incroyable.
Ce que veut faire Kasbarian avec ses deux mesures c’est juste faire des économies sur le dos des fonctionnaires (malades dans notre cas) pour finaliser un budget honteux qu’il a lui-même participé à créer car il était déjà au gouvernement précédemment. C’est un sketch.
Ces deux mesures sont injustes, parce qu’elles frappent en premier celles et ceux qui sont le plus malades. Qui plus est, elles toucheront en premier lieu les femmes qui représentent pour rappel plus de 60% des fonctionnaires. Ce sont des mesures totalement inefficaces, car elles conduisent à des arrêts de travail plus longs et un moindre recours aux soins. C’est enfin une mesure qui aggrave encore la dégradation des conditions de travail dans la fonction publique. Le pire c’est que dans 2 mois s’il ne subit pas la censure d’ici là, le même ministre se demandera pourquoi la fonction publique n’arrive pas à recruter.
Dijon Actualités : mais du coup que souhaitez-vous ?
C’est très simple. A très court terme que le ministre et le gouvernement reculent sur leur énième provocation car ce n’est pas aux travailleuses et aux travailleurs œuvrant pour l’intérêt général de payer l’incompétence des gouvernants.
Surtout, à moyen terme, il faut obtenir trois choses : la suppression complète de la carence pour l’ensemble des salariés du public comme du privé ; le maintien à 100% de la rémunération pour l’ensemble des salariés du public comme du privé ; enfin que soit engagée une réflexion globale autour des conditions de travail dans la fonction publique et un réel chantier autour du travail dans notre société.