Ce matin, la cour de l’Hôtel de Ville de Dijon était le témoin d’une cérémonie émouvante. Nathalie Koenders, la première femme à occuper le poste de maire de Dijon, a pris la parole pour rendre hommage à Simone Veil à l’occasion du 50ème anniversaire de l’adoption par l’Assemblée nationale de la loi Veil, qui légalise l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Cet événement, qui a réuni plusieurs dizaines de personnes, a été marqué par une allocution poignante qui a rappelé le courage et l’engagement de Simone Veil pour les droits des femmes et l’émancipation de toutes.
Un discours historique qui a changé la France
Nathalie Koenders a commencé par citer Simone Veil elle-même, reprenant des extraits du célèbre discours de 1974, un moment marquant où, face à une Assemblée nationale majoritairement composée d’hommes, Veil a osé porter le sujet de l’IVG à la tribune. « En face d’une femme décidée à interrompre sa grossesse, les médecins savent qu’en refusant leur conseil et leur soutien, ils la rejettent dans la solitude et l’angoisse, » a cité Koenders, rappelant l’âpre lutte que Simone Veil a menée pour que les femmes obtiennent le droit de disposer de leur corps.
Simone Veil, alors ministre de la Santé, a eu le courage de se tenir devant une Assemblée hostile pour défendre le projet de loi visant à dépénaliser l’avortement. Nathalie Koenders a souligné l’intensité de ces débats, souvent marqués par une violence verbale exacerbée et les pressions exercées par les groupes anti-avortement à l’extérieur du Palais Bourbon. Malgré les difficultés, le courage de Simone Veil a prévalu et la loi a été adoptée dans la nuit du 29 novembre 1974, une victoire pour les droits humains et l’émancipation des femmes.
Un combat contre l’injustice et l’hypocrisie
Cette date symbolique du 29 novembre a été choisie par Nathalie Koenders pour rendre hommage à Simone Veil, et mettre en avant l’avancée historique que représente la loi sur l’IVG. La maire de Dijon a évoqué avec émotion le contexte historique de l’avortement en France, rappelant qu’au cours du 20ème siècle, l’interdiction de l’IVG s’était progressivement durcie, jusqu’à être qualifiée de « crime contre l’État » sous le régime de Vichy, pouvant même entraîner des condamnations à mort.
La lutte pour la dépénalisation de l’avortement ne s’est pas faite en un jour. En 1971, le « Manifeste des 343« , écrit par Simone de Beauvoir, a été un point tournant dans la prise de conscience nationale sur cette question. Ce manifeste, signé par des centaines de femmes, réclamait le droit à l’avortement libre et l’accès aux moyens de contraception. Nathalie Koenders a également rendu hommage à Gisèle Halimi, avocate défendant les droits des femmes, qui transforma le procès de Marie-Claire Chevalier en une tribune politique à partir de laquelle l’opinion publique a commencé à changer.
Un droit fragile à protéger et renforcer
Malgré les avancées significatives, la maire de Dijon a souligné que le droit à l’avortement reste fragile. Elle a mentionné les régressions observées dans plusieurs pays, notamment aux États-Unis où les lois anti-avortement se sont renforcées après la victoire de Donald Trump, ou encore en Pologne et en Hongrie, où le droit des femmes à disposer de leur corps est mis à mal. Nathalie Koenders a ainsi rappelé la nécessité de ne jamais relâcher la vigilance et de protéger les droits durement acquis, même en France.
Elle a également salué l’inscription, plus récente, du droit à l’avortement dans la Constitution française le 8 mars 2024, une avancée symbolique mais essentielle pour graver ce droit dans le marbre. « Cet héritage nous oblige, » a-t-elle rappelé, soulignant que la lutte pour les droits des femmes est un combat de longue haleine qui n’est jamais terminé.
Un modèle d’audace et de persévérance
Pour Nathalie Koenders, Simone Veil incarne le courage et l’engagement, à travers une vie marquée par l’horreur de la Shoah et par la détermination à se battre pour des causes justes. Elle a aussi évoqué le rôle de Simone Veil en tant que première présidente du Parlement européen, plaidant inlassablement pour une Europe unie, porteuse de paix et de solidarité. « Plus que jamais l’Europe doit être un rempart face à la montée des populismes dont les femmes sont systématiquement les premières victimes« , a ajouté Nathalie Koenders.
Elle a conclu son discours en rappelant que les droits des femmes étaient le fruit de luttes longues et difficiles, souvent menées par des pionnières comme Simone Veil, Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi. Ces femmes ont ouvert la voie, et il appartient aux nouvelles générations de continuer de la tracer. « Nous devons aider toutes les femmes, et en particulier celles qui sont encore isolées, sans ressources ou sous le joug de violences inacceptables, » a affirmé la maire, annonçant que la ville de Dijon travaillerait à l’amélioration de l’accompagnement des familles monoparentales.
Un appel à la solidarité et à l’action
Cet hommage était non seulement une célébration du chemin parcouru, mais aussi un rappel des combats qui restent à mener. Nathalie Koenders a appelé les élus, les associations, et l’ensemble des citoyens à poursuivre cette œuvre, à continuer de se battre pour l’égalité des droits et la dignité de chaque femme. « Cet héritage nous rappelle que chaque droit acquis est précieux et doit être protégé. »
En ce 50ème anniversaire de l’adoption de la loi Veil, l’hommage rendu à Dijon a été un moment de réflexion, d’émotion et de détermination. Simone Veil, par son courage, a changé la France, et aujourd’hui, son combat continue d’inspirer des millions de femmes à travers le monde. « Simone Veil nous a appris qu’il faut se battre sans relâche pour ce qui est juste, et aujourd’hui encore, nous devons porter haut ce flambeau« , a conclu Nathalie Koenders, appelant chacun à faire sa part pour construire une société plus juste et égalitaire.
Un engagement continu pour les droits des femmes
Le combat pour l’égalité n’est pas terminé. Nathalie Koenders a réaffirmé son engagement en tant que maire de Dijon à soutenir les femmes, en particulier celles qui sont isolées et vulnérables, et à travailler main dans la main avec les associations qui, chaque jour, agissent pour faire avancer les droits des femmes. L’hommage rendu ce matin à Simone Veil est un rappel que la lutte pour la justice sociale est un devoir collectif, une cause qui doit continuer à être portée avec courage et détermination. Simone Veil est une inspiration, et son héritage doit continuer de guider nos actions. Merci, Simone Veil, pour votre combat, pour votre courage et pour avoir ouvert la voie à une société meilleure. Nous continuerons de nous battre, en votre nom, pour que chaque femme puisse vivre librement et dignement.
Ci-dessous, le discours de Nathalie Koenders, maire de Dijon :
Chers collègues maires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Je salue en particulier mon adjointe déléguée à l’égalité femmes / hommes, Kildine BATAILLE,
Mesdames et Messieurs les représentants des associations, Chères Dijonnaises, chers Dijonnais,
« En face d’une femme décidée à interrompre sa grossesse, (les médecins) savent qu’en refusant leur conseil et leur soutien, ils la rejettent dans la solitude et l’angoisse d’un acte perpétré dans les pires conditions, qui risque de la laisser mutilée à jamais. […] Ce sont celles que nous côtoyons chaque jour et dont nous ignorons la plupart du temps la détresse et les drames. C’est à ce désordre qu’il faut mettre fin. C’est cette injustice qu’il convient de faire cesser. »
Ces mots ont été prononcés le 26 novembre 1974, par Simone VEIL, alors Ministre de la Santé, dans un discours désormais historique, tant par sa gravité que par la force et le courage de celle qui le prononçait. Face à une Assemblée nationale presque exclusivement composée d’hommes, elle ouvrait le débat sur le projet de Loi concernant la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse.
S’en sont suivies des heures de débats intenses et souvent marqués par une grande violence verbale, dans un climat de tensions exacerbées. À l’extérieur du Palais Bourbon, des associations d’extrême droite et des groupes anti-avortement manifestaient pour exercer une pression sur les parlementaires et l’opinion publique.
Malgré cela, dans la nuit du 29 novembre 1974, il y a 50 ans jour pour jour, l’Assemblée nationale adopta finalement le texte en première lecture avec 284 voix pour et 189 contre, grâce aux voix des députés de l’opposition. Alors que je viens de devenir la première femme maire de l’histoire de Dijon, j’ai symboliquement choisi cette date pour rendre hommage à cette femme remarquable qui par son combat, a fait avancer nos droits à toutes.
Cette date marque en effet une victoire emblématique pour les droits humains et l’émancipation des femmes puisque la Loi VEIL met fin à plusieurs siècles de répression brutale de l’avortement en France.
L’interdiction de l’interruption volontaire de grossesse s’était progressivement durcie tout au long du 20ème siècle, dans une logique nataliste et de contrôle accru des corps des femmes. Sous le régime de Vichy, l’avortement est qualifié de « crime contre l’État » et les médecins « avorteurs », d’« assassins de la patrie ». L’avortement pouvait entraîner des peines allant jusqu’à la condamnation à mort des personnes impliquées.
Des voix courageuses se sont ensuite élevées pour dénoncer l’hypocrisie et la barbarie liées à l’interdiction de l’avortement. L’année 1971 marque un tournant majeur avec la parution du « manifeste des 343 » rédigé par la défenderesse acharnée des droits des femmes, l’illustre Simone DE BEAUVOIR. Ce manifeste commence par ces mots : « Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre. »
Parmi les 343 signataires, on retrouve une certaine Gisèle HALIMI, militante du Mouvement de Libération des Femmes.
Cette dernière sera, un an plus tard, l’avocate de Marie-Claire CHEVALIER, adolescente jugée par le tribunal pour enfants de Bobigny alors qu’elle avait avorté suite à un viol. Gisèle HALIMI transformera ce procès en une tribune politique, elle obtiendra la relaxe de sa cliente et ouvrira ainsi la voie à la Loi VEIL.
La Loi VEIL est une rupture majeure, un pas de géant pour les droits des femmes : elle rompt avec cette longue tradition de criminalisation de l’avortement pour en faire un droit, tout en reconnaissant aux femmes la liberté de disposer de leur corps.
Il y a quelques mois, une nouvelle étape a été franchie dans la reconnaissance du droit à l’avortement avec la Loi constitutionnelle du 8 mars 2024 qui inscrit dans la Constitution de 1958 la liberté garantie des femmes de recourir à l’interruption volontaire de grossesse. Néanmoins, c’est un droit qui reste encore fragile à travers le monde.
Comment ne pas évoquer les États-Unis et la victoire de Donald TRUMP, qui éloigne l’espoir pour de nombreuses Américaines de retrouver leur droit à avorter ? Je pense aussi à l’Europe. À la Pologne, où le gouvernement de Donald TUSK peine à dépénaliser à nouveau le droit d’avorter après que celui-ci a presque été complètement supprimé en 2021. Je pense à la Hongrie de Viktor ORBAN, où ce droit, comme tant d’autres, ne cesse de reculer.
Quelques jours après la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, je pense plus largement à toutes celles qui, à travers le Monde, doivent se battre pour leurs droits : à celles qui, en Afghanistan, viennent de se voir interdire de parler entre elles ; à celles qui, en Iran, défient les mollahs avec un courage incroyable sous un slogan qui résonne dans le Monde entier : « Femme, vie, liberté. »
Je pense aussi à toutes ces femmes, en France, qui perdent la vie sous les coups de leurs conjoints, victimes d’un fléau insupportable que nous devons combattre sans relâche. Je pense à celles qui, chaque jour, subissent en silence des violences psychologiques, physiques ou économiques, emprisonnées dans une spirale de peur et d’isolement. Trop nombreuses sont encore celles qui n’osent pas franchir la porte d’un commissariat, d’une association ou d’un service d’aide, par crainte, par honte, ou faute d’un soutien suffisant.
Je pense enfin à Gisèle PELICOT, qui par son combat admirable contribue à ce que la honte change de camps. Nous sommes toutes et tous à ses côtés.
Plus que jamais, l’œuvre de Simone VEIL doit nous guider. Son parcours doit nous inspirer. Simone VEIL, c’est d’abord le courage d’une vie marquée par l’horreur. Rescapée des camps de la mort, elle a porté avec une dignité exceptionnelle le poids d’une mémoire douloureuse, devenant une voix essentielle pour témoigner de l’indicible et préserver l’histoire.
C’est aussi une femme d’engagement, profondément républicaine, qui a voué sa vie à des causes justes. Nous venons d’en évoquer une : le droit à l’IVG. J’en évoquerai une autre qui me tient particulièrement à cœur : celle de la construction européenne. Première femme présidente du Parlement européen, elle a plaidé inlassablement pour une Europe unie, porteuse de paix et de solidarité. Je l’affirme : plus que jamais l’Europe doit être un rempart face à la montée des populismes dont les femmes sont systématiquement les premières victimes.
Décédée le 30 juin 2017, Simone VEIL entrera un an plus tard au Panthéon, devenant seulement la 5ème femme à recevoir cet honneur suprême.
Ce parcours, comme celui d’autres femmes pionnières, a permis à des générations de jeunes filles de s’identifier, de se reconnaître dans ces modèles de courage et de détermination. Grâce à ces femmes qui ont défié les normes et surmonté les obstacles, des portes autrefois fermées se sont ouvertes. Elles ont accédé aux sphères du pouvoir, occupé des postes à grandes responsabilités, et, ce faisant, elles ont tracé un chemin pour celles qui viendraient après elles. Leur audace et leur persévérance ont fait tomber des avancées, bien des combats restent à mener. Comme maire, j’entends y prendre ma part. J’en évoquerai un en particulier sur lequel je souhaite que nous travaillons à l’échelle de la ville : c’est celui de l’accompagnement des familles monoparentales.
Elles sont essentiellement constituées de mères isolées qui doivent conjuguer leur vie familiale avec leur vie professionnelle. Elles doivent souvent cumuler plusieurs emplois pour subvenir aux besoins de leurs enfants. Elles sont parfois, malgré leur courage, dépassées par l’ampleur de la tâche. Nous devons les aider. C’est notre devoir.
Nous devons leur permettre d’accéder plus facilement à des logements — c’est la première des dignités — ou encore leur faciliter les moyens de garde, pour qu’elles puissent mener leur vie professionnelle mais aussi entretenir une vie sociale.
Nous réfléchirons aux moyens qui peuvent être rapidement mis en œuvre. Nous nous appuierons pour cela sur l’expertise des associations, que je remercie de leur présence et à qui j’exprime toute ma reconnaissance pour leur engagement. Elles agissent au quotidien, avec ferveur, pour permettre à des femmes de vivre dignement et militent sans relâche pour faire avancer les droits des femmes en France et dans le Monde.
Mesdames et Messieurs, en ce 50ème anniversaire de l’adoption de la Loi sur l’avortement par l’Assemblée nationale, ensemble, entretenons l’héritage que nous ont laissé Simone VEIL, Gisèle HALIMI, Simone DE BEAUVOIR et les autres. Cet héritage nous oblige. Il nous rappelle que les droits, même les plus fondamentaux, sont le fruit de luttes longues et souvent difficiles, et qu’ils méritent d’être protégés et renforcés.
Je vous remercie