L’exaspération monte dans plusieurs quartiers de la métropole dijonnaise. Ce ne sont pas les problèmes de chauffage, les ascenseurs en panne ou les infiltrations qui concentrent aujourd’hui l’attention des locataires, mais une invasion autrement plus insidieuse : celle des blattes, ou cafards. Invisibles le jour, omniprésentes la nuit, ces insectes prolifèrent dans les immeubles gérés par les bailleurs sociaux. Pour de nombreux habitants, c’est un cauchemar devenu quotidien. Et surtout, un fléau auquel personne ne semble en mesure de mettre un terme.
« On ne peut plus vivre comme ça » : des locataires excédés
Meubles, appareils électroménagers, vêtements, murs, plinthes… les blattes sont partout. Et malgré les désinsectisations répétées, la situation ne fait qu’empirer.
Laura PAYAN, locataire chez Grand Dijon Habitat, n’en peut plus : « Depuis plusieurs années, de nombreux locataires des logements de Grand Dijon Habitat, situés à Dijon et dans ses alentours, vivent dans des conditions inacceptables en raison d’une infestation persistante de cafards. Malgré des signalements répétés, des relances, des interventions de désinsectisation et même des pétitions écrites, la situation reste inchangée. »
Elle poursuit : « Les cafards continuent d’envahir nos cuisines, nos salles de bain et nos espaces de vie. Cette situation nuit gravement à notre santé, notre hygiène de vie et notre bien-être au quotidien. Elle est source de stress, d’insalubrité et de perte de dignité pour les habitants. »
Pour alerter les autorités, Laura a décidé de lancer une pétition, déjà signée par de nombreux habitants. Ils demandent :
- Une intervention rapide, efficace et durable,
- Une communication transparente de la part du bailleur,
- Une reconnaissance du préjudice subi,
- Une amélioration immédiate des conditions de vie.
Des désinsectisations qui tournent dans le vide
Des campagnes de traitement sont bien organisées, mais elles peinent à porter leurs fruits. En cause : le manque de coopération de certains locataires. Un salarié chargé de la désinsectisation nous confie : « Si tous les locataires ouvraient leurs portes, on pourrait stopper l’invasion dans tout un immeuble. Mais certains refusent ou sont absents. Du coup, on traite un logement, les blattes se réfugient ailleurs, et reviennent dès qu’on a le dos tourné. »
Le salarié ajoute, sans détour : « Quand je rentre dans certains logements, c’est le choc. Rien n’est nettoyé, il y a de la nourriture au sol, des ordures partout. C’est le paradis pour les cafards. Et malheureusement, des appartements comme ça, il y en a beaucoup. »

Un locataire témoigne de son agacement : « Les fins de mois sont déjà difficiles. À chaque passage de la société, je dois poser une matinée, je perds de l’argent. Et en plus, certains, qui ne travaillent pas, eux, ne prennent même pas la peine d’ouvrir ! Je me saigne pour rien. »
Un phénomène qui dure depuis plus de dix ans
Le mouvement citoyen Agir pour Dijon tire la sonnette d’alarme et parle d’une crise sanitaire silencieuse qui touche la métropole dijonnaise depuis plus d’une décennie. Le phénomène serait particulièrement répandu dans les résidences HLM, et s’aggraverait d’année en année.
Selon Agir pour Dijon, les bailleurs publics comme Grand Dijon Habitat, mais aussi Orvitis, Habellis et CDC Habitat, sont tous concernés. Certains quartiers affichent des taux d’infestation qui dépasseraient les 70 % selon les témoignages récoltés.
Le mouvement politique d’Emmanuel Bichot appelle à une action massive, coordonnée et structurée, en établissant les fondements d’un plan d’éradication.
- Traitement systématique et régulier des parties communes (locaux poubelles, caves, gaines techniques),
- Colmatage des passages de câbles, tuyaux et fissures entre logements,
- Envoi de courriers individualisés aux locataires avec rappel de leurs obligations,
- Recours aux huissiers pour ouvrir les logements en cas de refus répétés,
- Activation des services municipaux de désinfection, aujourd’hui largement sous-utilisés,
- Création d’une brigade spécialisée au sein des bailleurs, ou mutualisée entre eux.
Un obstacle majeur : le droit au logement inviolable
Mais un obstacle juridique de taille empêche toute résolution rapide : le bailleur ne peut pas forcer un locataire à ouvrir sa porte, même pour une désinsectisation.
En théorie, le locataire a pour obligation d’entretenir son logement. Si une infestation est causée par une négligence manifeste, le bailleur peut engager une procédure, demander la désinsectisation voire la résiliation du bail pour non-respect des obligations. Mais dans les faits, il est extrêmement difficile d’apporter la preuve d’une telle négligence.
Ainsi, même les logements les plus sales, qui deviennent des nids à cafards, restent intouchables sans preuve formelle. Une aberration pour beaucoup de locataires voisins, qui en subissent les conséquences malgré leur bonne volonté.
Un sentiment d’abandon, et la peur que rien ne change
Pour nombre de locataires, cette situation devient un symbole de l’abandon des quartiers populaires. Ils disent ne plus croire aux promesses des bailleurs, ni à l’efficacité des désinsectisations, tant que le problème structurel — le refus de coopération de certains — ne sera pas résolu.
« On vit dans la peur d’ouvrir un tiroir et d’y voir courir une blatte. On nettoie, on traite, mais tant que les autres ne font rien, on est condamnés à vivre avec. »
Aujourd’hui, une chose est claire : le fléau des cafards dépasse le simple problème d’hygiène, et devient un enjeu de santé publique, de justice sociale et de cohabitation. Car derrière les murs infestés, ce sont des familles, des enfants, des personnes âgées qui vivent chaque jour dans l’angoisse et la honte.
Et tant que le système ne saura pas concilier droit au logement et devoir de salubrité, les blattes auront toujours une longueur d’avance.


