Le samedi 26 mars 2025, le collectif ANTICRA Dijon appelait à une large mobilisation citoyenne contre la construction d’un centre de rétention administrative (CRA) prévu sur le site de l’ancienne base aérienne de Dijon-Longvic. Un projet de 140 places qui suscite de vives inquiétudes, tant en raison de son opacité que des conditions de vie que pourraient subir les personnes qui y seraient enfermées.
La manifestation a réuni une centaine de personnes selon les services de police, tandis que les organisateurs revendiquent la présence de 200 participants. Parti de la place de la République, le cortège a remonté la rue de la Liberté avant de rejoindre la place Darcy.
Un projet opaque et sans concertation
Il est difficile d’obtenir des informations précises sur la construction de ce CRA. Le projet s’affranchit des règles classiques d’urbanisme : aucun permis de construire ne sera déposé en mairie, et aucune enquête publique ne sera menée. Le terrain, appartenant à l’État, est situé entre l’école de gendarmerie et des terrains relevant du ministère des Armées.
« Autrement dit, lorsqu’il s’agit d’un projet relevant de l’instruction de l’État et d’une implantation sur des terrains non communaux, il faut le savoir : la mairie n’est associée ni à la conception ni à la réflexion autour du lieu », dénoncent plusieurs opposants au projet.
À la question « Quelles consultations sont prévues avec les habitants ou les associations locales ? », la réponse est claire : aucune consultation n’est prévue. Cela aussi est dénoncé par les opposants au projet.
Une position municipale discrète
Lors du conseil municipal du 25 septembre 2024, Céline Tonot, maire de Longvic (PS), s’était exprimée sur le sujet : « Bien que d’un niveau de sécurité élevé, il ne s’agit pas d’une prison. Les conditions de vie y sont différentes, malgré les critiques de certaines associations soucieuses de préserver les droits de l’homme. »
Elle précisait : « Il ne s’agit pas d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile, ni d’un foyer comme à Calais. » À ce jour, à notre connaissance, l’élue ne s’est jamais opposée, à la création de ce centre.
Une mobilisation pour l’information et la mémoire
Le 14 février 2025, une réunion publique organisée par ANTICRA Dijon, en partenariat avec la Cimade, a permis de faire connaître les réalités vécues dans ces centres. Des extraits du livre CRA – 115 propos d’hommes séquestrés de Mathieu Gabard ont été lus, accompagnés de l’exposition immersive À l’intérieur, c’est l’enfer.
Lors d’une autre rencontre, le 23 mai 2024, à la librairie La Fleur qui pousse à l’intérieur, Mathieu Gabard rappelait : « Les zones de séquestration, de tri d’humains, de torture psychologique, de violence policière, qu’on connaît sous le nom de centres de rétention administrative, CRA, ont été mises en place par l’État français à partir de 1981, sous Mitterrand. Il y en a 28 en France. »
Il ajoutait : « Les personnes non blanches, ne répondant pas aux critères administratifs, sont séquestrées pour une durée maximale de trois mois — c’est ainsi depuis janvier 2019. En 2011, c’était un mois et demi. À leur création en 1980, c’était sept jours. Avant même leur officialisation, ces pratiques existaient déjà de manière clandestine, notamment dans les entrepôts d’Harynques à Marseille. »
« Durant cette période de séquestration, si la préfecture obtient un laisser-passer consulaire – généralement du pays d’origine – la personne est déportée. Sinon, elle est relâchée à la fin de la durée maximale, ou parfois avant. Mais cela ne signifie pas la fin du cauchemar : une semaine plus tard, elle peut être à nouveau arrêtée. Certains cumulent les séjours en CRA. Le maximum que j’ai rencontré, c’est cinq séquestrations, mais cela peut continuer. »
Un livre et des témoignages révélateurs sur le fonctionnement des centres de rétention administrative : « On n’est pas des animaux ».
Parmi les témoignages recueillis par Mathieu Gabard, voici un petit extrait : « Une fois, je vais monter pour manger, et le policier me dit : “T’as une tête de con”, pour rien. Il faudrait un peu de respect. On n’est pas des animaux, nous. On est comme vous, on est tous pareils. Aux toilettes, les petits moustiques, il y en a beaucoup. Il y a des toilettes qui puent. Ils traitent les animaux mieux que nous. Je te jure, ils traitent les animaux mieux que nous. On n’est pas des humains ici. Il fait super froid. Beaucoup de bruit. Difficile de dormir. Je stresse beaucoup. Je stresse beaucoup. J’ai plein de stress. Des fois, même, je commence à trembler. Je demande des tranquillisants pour dormir. J’en prends quatre par jour. Quand tu manges, tu sens que tu veux dormir. Ils mettent des cachets dedans, des calmants de croix. Pour pas qu’il y ait de bagarre ici. Pour calmer les gens. C’est très bizarre. Moi, quand je mange, je reste en éveil après. Toujours. Mais pas là. Il y a quelque chose dans la nourriture. C’est pas que moi qui sens ça. C’est tous les prisonniers. Tous les gens, ils sentent qu’ils sont fatigués. Le mitard, il est tout noir. Il y a un matelas par terre. Des toilettes à côté, dans la même pièce. Des moustiques. Il n’y a pas de fenêtre. En plus, il y a une caméra qui te regarde tout le temps, au-dessus de toi. Ils m’ont mis dedans quand je suis arrivée, en attendant de faire les papiers. Ils m’ont pas allumé la lumière. »
Un système déjà sous le feu des critiques
Ce témoignage fait écho à des faits récents. Le 20 avril 2025, des tensions ont éclaté au CRA de Lyon, en protestation contre la nourriture. La police est intervenue avec du gaz lacrymogène. L’incident a duré plus de deux heures.
Déjà en octobre 2024, la justice administrative avait ordonné la fermeture temporaire de ce même centre, en raison de conditions de vie jugées « indignes », pointant notamment des problèmes d’accès à la nourriture et aux soins, après une visite de l’Ordre des avocats.
Cette manifestation, bien qu’elle n’ait pas rencontré le succès espéré par le collectif ANTICRA Dijon, ne sera peut-être pas la dernière. Pour ses membres, le combat contre le centre de rétention administrative (CRA) ne fait que commencer.








