Les Halles centrales de Dijon, emblème du cœur historique de la ville, sont bien plus qu’un simple marché couvert. Elles incarnent un pan entier de l’histoire architecturale et sociale de la cité. Construites entre 1873 et 1875, sur des plans inspirés par l’entreprise Eiffel dès 1868, elles furent réalisées par les Fonderies et ateliers de construction de Fourchambault (Nièvre), sous la direction de l’ingénieur Louis-Clément Weinberger. Classées à l’Inventaire des Monuments Historiques, elles sont aujourd’hui au centre d’un débat brûlant : entre volonté d’embellissement et accusations d’abandon.
Une architecture d’exception, témoin d’un savoir-faire oublié
Les Halles de Dijon se distinguent par leur élégante structure, influencée par l’architecture classique : une succession d’arcades majestueuses, des colonnes aux fûts cannelés surmontées de chapiteaux décorés de pampres de vigne. L’ensemble comprend quatre pavillons articulés autour de deux axes en croix. Les écoinçons des arches sont ornés de médaillons représentant des animaux – chevreuils, mouflons, sangliers, bœufs, poissons, anguilles – ainsi que des figures symboliques telles que Cérès, déesse de la moisson, et Hermès, dieu du commerce. Une toiture inspirée de celle des Halles centrales de Paris couronne le tout.
Mais derrière ce décor d’exception, la réalité est bien plus morose.
Un état de dégradation qui interroge
Les Halles continuent d’accueillir les Dijonnais les mardis, jeudis (pour certains commerces), vendredis et samedis matin, mais nombreux sont ceux qui tirent la sonnette d’alarme. La rouille attaque la structure métallique, les luminaires sont disparates, voire absents, et la toiture montre des signes inquiétants de vétusté : peintures écaillées, risques d’infiltration… Pour beaucoup, l’entretien est jugé insuffisant depuis trop longtemps.
Certains parlent de « cache-misère« , d’un « rafistolage permanent » qui ne règle en rien les problèmes de fond. Et malgré quelques travaux de rénovation menés depuis 2024 (réfection de stands, nouvelle signalétique, reprise des pavés), la critique reste vive.
Une réponse municipale jugée insuffisante
La Ville de Dijon, sous l’impulsion de la majorité municipale, a pourtant tenté de répondre aux critiques : en mars 2025, des efforts ont été faits pour rénover les abords extérieurs. Dominique Martin-Gendre, adjointe à la propreté et aux équipements urbains, défend cette action dans Dijon Mag : « À travers ces travaux d’embellissement, Dijon montre qu’elle est tout autant attachée à son histoire que tournée vers l’avenir. »
Mais ces propos peinent à convaincre. Le mal est plus profond. Et beaucoup s’interrogent : où est la véritable volonté politique ?

Limoges : l’exemple d’une rénovation ambitieuse, rapide et réussie
S’il est une ville qui peut se targuer d’avoir compris l’importance de préserver son patrimoine tout en l’adaptant aux usages contemporains, c’est bien Limoges. La ville a su prendre le taureau par les cornes pour faire de ses Halles centrales, autrefois vieillissantes, un véritable écrin au service du commerce de proximité, du patrimoine et de la convivialité urbaine.
Construites entre 1887 et 1889, les Halles centrales de Limoges étaient, comme celles de Dijon, un édifice remarquable inscrit à l’inventaire des Monuments Historiques depuis 1976. Mais pendant des décennies, elles n’ont bénéficié d’aucune rénovation structurelle sérieuse, à l’exception d’un simple rafraîchissement de façade dans les années 1990. Résultat : un lieu à fort potentiel, mais qui ne répondait plus aux exigences d’aujourd’hui, ni pour les commerçants ni pour les usagers.
La municipalité limougeaude, consciente de la valeur de ce patrimoine architectural et social, a fait un choix clair : investir massivement et agir rapidement. En 17 mois seulement, les Halles ont été entièrement rénovées et modernisées, dans le cadre d’un projet urbain global centré sur la redynamisation du cœur de ville. L’objectif était double : redonner vie aux Halles et conserver leur âme historique. Le résultat ? Une métamorphose impressionnante.
Une transformation structurelle respectueuse de l’histoire
Le projet a été mené en concertation étroite avec les commerçants pour repenser les usages du lieu tout en respectant les caractéristiques patrimoniales du bâtiment. Le schéma d’implantation des étals a été entièrement revu pour créer une meilleure circulation, favoriser la déambulation et améliorer l’accessibilité. Des allées plus larges, des éclairages repensés, des accès facilités : chaque détail a été pensé pour le confort des usagers.
Une charte architecturale a même été créée en collaboration avec le maître d’œuvre pour garantir une cohérence esthétique entre les stands, en matière de matériaux, de couleurs et de mobilier. Une manière intelligente d’uniformiser le lieu sans le dépersonnaliser.
Un espace tourné vers l’extérieur et la convivialité
L’une des grandes forces de la rénovation des Halles de Limoges réside dans leur ouverture sur l’extérieur. Le bâtiment, autrefois plutôt clos sur lui-même, a été repensé pour mieux s’insérer dans son environnement urbain. Les ouvertures ont été élargies, les accès rendus plus fluides, et la signalétique extérieure repensée pour attirer les passants.
Mais surtout, la convivialité a été mise au cœur du projet. Un espace dédié à la dégustation de 76 m² a été créé au sein des Halles, permettant aux commerçants de proposer des dégustations sur place, d’organiser des événements, ou encore d’accueillir des animations culinaires. Ce lieu est rapidement devenu un point de rencontre incontournable pour les Limougeauds, et un atout touristique non négligeable.
Un nouveau souffle commercial
Au-delà de l’aménagement physique, la stratégie commerciale a été repensée. La Ville a travaillé main dans la main avec les commerçants pour définir une offre plus attractive et plus cohérente. Un nouveau règlement intérieur a été mis en place pour harmoniser les pratiques et étendre les horaires d’ouverture, rendant le marché accessible à une clientèle plus large, y compris en soirée ou durant des événements spéciaux.
Les Halles sont ainsi devenues un véritable lieu de vie, mêlant commerce de qualité, patrimoine vivant et animation culturelle. Depuis leur réouverture le 16 novembre 2019, elles connaissent un succès incontestable, attirant toujours plus de visiteurs, aussi bien locaux que touristes.
Ce qu’il y avait à Limoges ? Une volonté politique claire, une ambition forte, un respect du patrimoine. Ce qu’il manque encore à Dijon ? Probablement tout cela.

Enquête municipale : vrai projet ou écran de fumée ?
Dernièrement, la ville de Dijon a lancé un questionnaire en ligne, censé recueillir les attentes des usagers. Cette consultation, selon la mairie, devrait permettre d’imaginer le futur des Halles. Mais aucune garantie n’est donnée sur la suite. Un outil utile, certes, mais sera-t-il suivi d’actes concrets ? Ou bien se perdra-t-il dans les méandres de la communication institutionnelle ?
D’après nos informations, des annonces pourraient être faites dans les semaines à venir. Nous dirigeons-nous vers une réhabilitation complète, comme cela a été fait à Limoges, ou la municipalité se contentera-t-elle de nouvelles couches de peinture pour cacher un problème de fond ?
L’heure des choix
Ce qui est certain, c’est que le temps presse. Les Halles de Dijon, joyau architectural et lieu de vie incontournable pour les habitants, ne peuvent plus se permettre d’attendre. Si rien n’est entrepris rapidement, la dégradation s’intensifiera — entraînant, avec elle, le désamour des Dijonnais.
La question demeure : Nathalie Koenders, actuelle maire de Dijon et potentielle candidate aux prochaines élections municipales, saura-t-elle prendre le virage d’une politique patrimoniale audacieuse ? Ou choisira-t-on l’immobilisme face à la situation ?
Car si la Ville ne met pas très bientôt les moyens à la hauteur des enjeux, ce ne sont pas les pierres ni les structures qui céderont en premier, mais bien la confiance des habitants envers une municipalité qui laisse le patrimoine mourir petit à petit !















