Le conseil municipal de Dijon, réuni le lundi 15 décembre 2025, a adopté à une large majorité la délibération portant sur la dénomination de la Cour de la Gare Pierre Semard, en hommage à l’une des grandes figures du syndicalisme cheminot et de la Résistance française. Si le vote n’a pas fait l’objet d’un rejet massif, les échanges ont été nourris et ont dépassé le seul cadre de l’hommage pour ouvrir un débat plus large sur la politique municipale de dénomination des rues et équipements publics.
Un hommage à une figure du syndicalisme et de la Résistance
La Ville de Dijon a souhaité rendre hommage à Pierre Semard, né en 1887 dans une famille de cheminots, entré à la Compagnie Paris-Lyon-Méditerranée en 1912, où il débute parallèlement une activité syndicale. Révoqué en 1920 en raison de son rôle dans les grèves, il se consacre alors pleinement à l’action syndicale, devenant une figure majeure du syndicalisme cheminot, secrétaire général de la Fédération CGTU des cheminots, puis secrétaire général du Parti communiste français de 1924 à 1928. Acteur clé de l’obtention des congés payés et de la semaine de 40 heures sous le Front populaire, il entre dans la clandestinité après l’interdiction du PCF en 1939. Arrêté, livré par le régime de Vichy aux autorités nazies, il est fusillé le 7 mars 1942, en représailles aux actions de la Résistance cheminote et ouvrière.
Dijon, nœud ferroviaire majeur du réseau PLM, a ainsi été considérée comme un lieu symboliquement pertinent pour cet hommage.
Une demande syndicale relayée par la municipalité
En séance, la maire de Dijon, Nathalie Koenders, est longuement revenue sur la genèse de la proposition, rappelant qu’elle émanait de la section fédérale CGT des cheminots de Dijon : « J’avais été interpellée par la section fédérale CGT des cheminots de Dijon qui m’avait écrit en février 2025, avec une lettre d’ailleurs très, très sympathique à mon égard (…) ils me demandaient aussi de pouvoir renommer la Cour de la gare en cours Pierre Semar pour ne pas faire qu’un simple rappel historique, mais éviter que certaines pages de notre histoire contemporaine tombent dans l’oubli. »
La maire a précisé avoir répondu favorablement sur le principe, tout en rappelant que la Cour de la Gare appartenait à la SNCF, rendant indispensable une concertation avec l’entreprise ferroviaire : « Je leur avais répondu que j’étais plutôt favorable, mais qu’il fallait aussi que je me mette en lien avec la SNCF, puisque la Cour de la gare appartenait à la SNCF. »
Cette concertation s’est concrétisée à l’automne 2025 : « J’ai eu l’occasion de rencontrer la directrice régionale des gares Bourgogne-Franche-Comté, madame Azémard, en septembre (…) elle m’a écrit fin septembre 2025 pour nous dire que la SNCF était favorable aussi et donc nous proposait de renommer la Cour de la gare en cours de la gare Pierre Semar. »
Un vote favorable mais une critique de fond
Laurent Bourguignat a pris la parole pour annoncer que son groupe voterait en faveur de la délibération, tout en formulant une longue intervention critique sur la politique municipale de dénomination. « Nous voterons pour ce rapport, par respect pour la mémoire de Pierre Semar, figure importante de l’histoire syndicale de notre pays, victime du nazisme, même si son parcours ne présente pas de lien direct avec Dijon. »
S’il a reconnu la portée symbolique de l’hommage, l’élu a rapidement élargi le débat : « Permettez-moi toutefois de formuler une remarque plus générale sur la politique de dénomination des rues et des équipements municipaux. »
Selon lui, une tendance se dégage clairement : « Force est de constater qu’au fil des années, elle a très largement mis à l’honneur des personnalités de gauche. »
Une critique qu’il a souhaité poser sans polémique : « Nous le disons sans esprit polémique, la mémoire républicaine de notre ville gagnerait à refléter l’ensemble des sensibilités qui ont contribué à son histoire. »
Laurent Bourguignat a ensuite rappelé plusieurs propositions restées lettre morte : « À plusieurs reprises, nous avons proposé d’honorer Jean-Marc Nudant, ancien député de la Côte d’Or, et Jean-François Bazin, ancien président de la région Bourgogne. Ces propositions ont même parfois fait l’objet d’accords oraux au sein de ce conseil municipal durant cette assemblée, mais ceux-ci n’ont jamais été suivis des faits. »
Pour étayer son propos, il a cité des exemples récents d’hommages jugés légitimes : « Alain Millot a donné son nom à une école et à la salle du conseil de métropole. C’est tout à fait normal, c’est tout à fait légitime. André Gervais a donné son nom à une place et au centre de maintenance du tramway. C’est tout à fait normal, c’est tout à fait légitime. Je n’oublie pas notre regretté collègue Myriam Bernard, qui a donné son nom à la salle de la mairie annexe de la Toison d’Or. Et là encore, c’est quelque chose de tout à fait normal et légitime. »
Avant de conclure : « Par respect pour celles et ceux qui ont servi Dijon, avec engagement dans la continuité républicaine, notre ville s’honorerait à rendre hommage à Jean-François Bazin et à Jean-Marc Nudant. »
Une réponse ferme de la majorité
En réponse, la maire de Dijon a contesté toute accusation de déséquilibre idéologique : « Vous avez oublié de citer que l’opéra Dijon-Bourgogne, et notamment l’Auditorium, a été renommé Auditorium Robert Poujade (…) que récemment, à la demande de sa famille, un square a été renommé Monsieur Japiot, donc vous voyez, on n’est pas sectaire. »
Elle a rappelé d’autres dénominations récentes et indiqué que les demandes étaient bien enregistrées, tout en soulignant un autre enjeu mémoriel : « Je suis aussi attachée (…) à féminiser aussi, parce qu’il y a eu beaucoup plus de noms d’hommes que de femmes, donc il faut aussi retrouver cet équilibre. »
Une opposition frontale et une mise au point
Plus critique encore, Emmanuel Bichot, président du groupe Agir pour Dijon, a annoncé un vote contre la délibération : « Cela devient une habitude de rebaptiser les noms de rues dijonnaises à chaque conseil, précisons que nous ne sommes pas favorables aux modifications apportées à des noms qui se suffisent à eux-mêmes. Place Saint-Michel, place du Palais, cour de la Gare. Qui plus est, le nom que vous proposez, et qui a été proposé lui-même par la CGT, n’a pas de lien évident avec Dijon, et pour ces raisons, nous voterons contre. »
La maire lui a répondu sans détour : « Ce n’est pas une rebaptisation. Il n’y avait pas de nom. Cour de la Gare, c’était un nom usuel. »
Un vote adopté et un hommage acté
Avant de clore les débats, Nathalie Koenders a tenu à exprimer sa « très profonde tristesse » à la suite « des actes barbares antisémites de Sydney », affirmant que « c’est un combat que nous devons mener avec la plus grande fermeté sans faillir ».
La délibération a finalement été adoptée à une large majorité. La Cour de la Gare portera désormais officiellement le nom de Cour de la Gare Pierre Semard, et une cérémonie de dévoilement de la plaque sera organisée dans les prochaines semaines. La CGT, elle, a pris acte du vote d’Emmanuel Bichot et des membres du groupe Agir pour Dijon.
F. Bauduin
