Ce soir, comme chaque année, le réveillon de Noël se tiendra dans la plus pure tradition française : une table trop petite, un repas beaucoup trop long et des discussions nettement trop animées pour rester digestes. Dès 19 h 32 précises — juste après la première gorgée de champagne — tout le monde saura déjà que la soirée sera mémorable, et pas uniquement à cause de la bûche.
Un menu qui s’annoncera plus chargé qu’un programme électoral
Sur la table, le repas fera honneur aux ancêtres et mettra à l’épreuve les estomacs les plus vaillants. En entrée, le foie gras maison ouvrira les hostilités, accompagné de toasts qui se briseront plus vite que certaines promesses de campagne. Les huîtres suivront, adorées par les uns, redoutées par les autres, mais mangées par tous « parce que c’est Noël, quand même ».
Le plat principal arrivera ensuite, solennel et triomphal : la dinde. Dorée, imposante, farcie comme jamais. Une farce si dense qu’on pourrait y cacher un bulletin de vote sans que personne ne s’en aperçoive. Pommes de terre, marrons, haricots verts « pour l’équilibre » : tout sera là. Et pendant que la sauce nappera généreusement les assiettes, les conversations commenceront, elles aussi, à déborder dangereusement.
Du dessert au dérapage
La bûche — chocolat pour certains, café pour d’autres, et débat pour tout le monde — semblera annoncer une trêve sucrée. Illusion totale. C’est précisément à ce moment-là, cuillère en main et bouche pleine, que quelqu’un posera LA question : « Au fait… aux municipales, vous allez voter pour qui ? »
Un silence bref. Puis l’explosion.
Municipales : la bataille de Noël
À gauche de la table, tonton Jean annoncera fièrement qu’il votera Bichot, « parce que lui, au moins, il est franc ». À droite, tante Marie manquera de s’étouffer avec sa bûche en répliquant que Koenders, « c’est quand même plus sérieux, plus moderne, plus crédible ».
Au fond, cousin Paul — silencieux depuis le début — lâchera tranquillement qu’il soutiendra Coudert. Ce qui provoquera immédiatement des soupirs, des regards désespérés et un chœur parfaitement synchronisé de « ah non, pas lui… ».
Et voilà Jeanne qui annoncera qu’elle votera Michel Haberstrau. Tonton Jean demandera aussitôt : « Connais pas… c’est lequel, celui-ci ? » Paul répliquera : « Je connais Stéphanie Modde, mais alors lui, il me dit rien. Il sort d’où, celui-là ? »
Carole ajoutera alors, avec conviction : « Moi, je voterai LFI, enfin Dominique Guidoni-Stoltz. » Ce à quoi le cousin Paul répondra, faussement innocent : « Tu crois qu’elle a mis le grand drapeau palestinien en guise de nappe pour sa table de Noël ? »
Pascal sortira du bois et lancera : « Et Bourguignat ? » Rires autour de la table. Il a de l’humour, ce Pascal. Tonton Jean ajoutera alors : « À ton avis, tu crois qu’il est assis à côté de François Rebsamen ou bien face à lui pour le repas de ce soir ? »
Et Pierro, « cousin éloigné et complètement perché », surgira alors avec l’assurance de ceux qui n’ont peur de rien : « Et Fadila Khattabi ? » Mamie lèvera les yeux au ciel : « Oublie pas, t’es caché, mon Pierro ». Tante Marie, elle, ne laissera même pas le temps au silence de s’installer : « Oui, prends ton traitement, et surtout, évite de sortir ce genre de conneries pendant qu’on mange. »
Les arguments fuseront :
- « Bichot, il connaît le terrain ! »
- « Koenders, elle sait gérer un budget ! »
- « Coudert, il a l’air d’un bourgeois coincé… j’adore. »
Pendant ce temps, mamie demandera simplement si quelqu’un voudra encore de la bûche, prouvant une fois de plus qu’elle sera la seule à avoir tout compris à la soirée.
Une tradition qui ne faillira pas
Les voix monteront, les mains s’agiteront, et la bûche — pourtant excellente — passera totalement au second plan. On parlera d’urbanisme entre deux coupes de champagne, de circulation et de pistes cyclables entre le fromage et le digestif, et de rumeurs politiques juste avant le café.
Et comme chaque année, personne ne changera d’avis. Les convictions resteront intactes, les alliances familiales seront temporairement rompues, puis miraculeusement réparées autour d’un dernier verre et d’une boîte de chocolats.
Le miracle de Noël, version municipale
À minuit, tout le monde s’embrassera quand même. On jurera solennellement que, l’an prochain, on ne parlera plus jamais politique à table — promesse immédiatement rangée à côté des bonnes résolutions de janvier.
Car le réveillon de Noël, ce soir, sera exactement ce qu’il doit être : un repas gargantuesque, des opinions bien assaisonnées, des engueulades parfaitement inutiles, et la certitude que personne n’aura changé d’avis — sauf peut-être sur la qualité de la dinde. Passez une bonne soirée, si possible apolitique.
F. Bauduin
