Alors que la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH) approche, une étude inédite de l’Apec et de l’Agefiph révèle les difficultés rencontrées par les cadres en situation de handicap pour faire reconnaître leur condition en entreprise. Peur de la stigmatisation, manque d’information, culture de la performance… Ces obstacles freinent l’inclusion et la reconnaissance du handicap au sein du monde du travail. Ce constat met en lumière la nécessité d’un changement de mentalité et de pratiques pour construire un environnement de travail plus inclusif, où chaque talent est valorisé.
La crainte d’être freiné dans sa carrière
Pour de nombreux cadres, révéler un handicap reste un acte difficile, souvent par crainte des conséquences sur leur carrière. En effet, les préjugés sur le handicap et la culture de la performance prévalente au sein des entreprises poussent certains à dissimuler leur situation, en particulier lorsque leur handicap est invisible. Cette dissimulation est motivée par la peur d’être perçus comme moins compétents ou de voir leur évolution professionnelle entravée. Selon l’étude, 12 % des actifs touchés par un handicap occupent un poste de cadre, mais seuls 2 % d’entre eux disposent d’une reconnaissance administrative de leur handicap (contre 5 % pour l’ensemble des actifs).
Les témoignages recueillis illustrent bien cette réalité. Comme le souligne un cadre de 59 ans : « Je n’ai pas envie non plus que mon état de santé serve à me donner des missions moins intéressantes, en estimant que c’est pour mon bien ». Ces propos révèlent la crainte de la déqualification professionnelle, du plafonnement de carrière, et de l’exclusion des projets stimulants et stratégiques. Un autre témoignage poignant, celui d’une femme cadre de 56 ans, indique que sa carrière « s’est stoppée net » après avoir fait reconnaître son handicap en 2012. Ces craintes sont fondées sur des expériences vécues et ne sont pas sans conséquence sur la motivation et le bien-être des personnes concernées.
Une reconnaissance essentielle pour le maintien en emploi
Cependant, lorsque l’état de santé se dégrade au point qu’il devient trop coûteux à cacher, la reconnaissance du handicap devient parfois une nécessité. La reconnaissance administrative, via la RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé), permet alors d’accéder à des aménagements de poste, souvent cruciaux pour maintenir le salarié en emploi. Ces aménagements peuvent inclure une réduction du temps de travail, la possibilité de télétravail, l’adaptation de la charge de travail, ou encore l’aménagement du poste lui-même. Ces mesures ont pour objectif de préserver la santé physique et mentale des collaborateurs concernés, en favorisant leur bien-être et en réduisant les efforts de surcompensation liés à la dissimulation du handicap.
Pour de nombreux cadres, cependant, la démarche RQTH reste un processus complexe et méconnu. Beaucoup d’entre eux n’ont pas conscience des droits auxquels ils peuvent prétendre, comme les aménagements organisationnels ou techniques. De plus, la révélation de sa situation à l’employeur ne va pas nécessairement de pair avec la reconnaissance administrative. Certains cadres peuvent choisir de révéler leur situation pour obtenir du soutien sans pour autant engager des démarches formelles, tandis que d’autres peuvent avoir obtenu une RQTH sans souhaiter informer leur employeur, par crainte de répercussions.
L’acceptation personnelle du handicap est une autre étape importante de ce parcours. Pour les cadres dont le handicap est invisible, s’identifier au statut de « travailleur handicapé » est souvent difficile, car cela implique une redéfinition de leur identité professionnelle, qui peut être perçue comme incompatible avec l’idée de performance et de réussite.
Un regard à changer sur le handicap
Les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 ont contribué à éveiller les consciences sur la question du handicap. La visibilité des athlètes paralympiques a permis de briser certains tabous et de mettre en lumière les capacités extraordinaires des personnes en situation de handicap. Selon une enquête réalisée par l’Apec, 60 % des cadres interrogés estiment avoir changé leur perception du handicap à la suite de ces Jeux, évoquant des notions telles que la « normalisation » du handicap, une plus grande prise de conscience des défis quotidiens auxquels les personnes en situation de handicap doivent faire face, et l’admiration pour la combativité des athlètes.
Cependant, malgré cette évolution des mentalités, le monde de l’entreprise reste en retard. Près de 58 % des cadres considèrent que les entreprises ne recrutent pas assez de collaborateurs en situation de handicap. Par ailleurs, 54 % des cadres jugent que les entreprises ne favorisent pas suffisamment l’évolution professionnelle des personnes handicapées, et 52 % estiment que les conditions de travail ne sont pas suffisamment adaptées. Ces chiffres montrent qu’un véritable effort reste à faire pour permettre une pleine intégration des personnes handicapées, non seulement en termes de recrutement, mais également d’accompagnement tout au long de leur carrière.
Un appel à l’action pour un monde du travail plus inclusif
Pour Gilles Gateau, directeur général de l’Apec, il est essentiel de créer un environnement où chaque personne se sent libre de révéler son handicap sans craindre la stigmatisation : « Il est primordial de lutter contre les discriminations au travail liées au handicap. Aborder le sujet du handicap en entreprise permet de créer un climat favorable où chacun se sent libre de parler de sa situation sans crainte de jugement ». Ce climat de confiance passe par la formation des managers, la sensibilisation des équipes, et la mise en place de politiques inclusives fortes qui valorisent les compétences de chaque individu, indépendamment de son handicap.
Didier Eyssartier, directeur général de l’Agefiph, souligne quant à lui l’importance de sécuriser les conditions de travail des cadres en situation de handicap en mobilisant les aides et services existants : « Le vécu des cadres en situation de handicap souligne l’importance de sécuriser leurs conditions de travail en mobilisant les aides et services existants, de lever les barrières des représentations en confortant le fait que la culture de la performance peut aller de pair avec des conditions de travail optimisées. Il convient aussi de rappeler que les personnes en situation de handicap, de par leur vécu, sont tout autant porteuses elles-mêmes de performance ».
Pour parvenir à un monde du travail véritablement inclusif, il est indispensable de dépasser les préjugés, de valoriser la diversité des parcours et de mettre en avant les bénéfices de l’inclusion. Il est possible de construire un environnement où la diversité des compétences est perçue comme une richesse collective, et où chaque collaborateur, quelle que soit sa situation, est en mesure de donner le meilleur de lui-même. En favorisant la reconnaissance et l’accompagnement des personnes en situation de handicap, l’entreprise se donne les moyens de répondre aux défis du futur, en valorisant le potentiel de chaque collaborateur.
Source : Apec, octobre 2024