L’avenir du carnet de santé numérique en France est-il menacé par une concurrence privée ? L’annonce de Doctolib, acteur incontournable de la prise de rendez-vous médicaux en ligne, de lancer une fonctionnalité baptisée « Santé » soulève une vive inquiétude parmi les associations de patients et les usagers de santé. Elles appellent à une mobilisation rapide pour soutenir et renforcer Mon espace santé, le carnet de santé numérique public.
Un carnet de santé numérique : public ou privé ?
Depuis 2019, chaque citoyen français a le droit d’accéder à son dossier médical électronique via un service public gratuit. Ce droit s’est concrétisé par la création de Mon espace santé, une évolution du Dossier Médical Partagé (DMP). Conçu par le ministère de la Santé et l’Assurance maladie, en concertation avec les professionnels de santé et les représentants des patients, ce service repose sur un cadre juridique rigoureux pour garantir la confidentialité et la sécurité des données de santé.
Mon espace santé permet aux utilisateurs de centraliser leurs informations médicales (ordonnances, comptes rendus d’hospitalisation, résultats d’examens biologiques, etc.) dans un environnement sécurisé. Il offre également des fonctionnalités telles que le partage de documents avec les professionnels de santé et la réception d’informations de prévention personnalisées. Aujourd’hui, près de 16 millions de Français utilisent Mon espace santé, et environ 30 millions de documents de santé y sont ajoutés chaque mois.
Malgré ce succès, des marges d’amélioration subsistent : une ergonomie parfois perfectible, un manque de sensibilisation du grand public, et des interrogations récurrentes sur la gouvernance des données.
Face à cela, Doctolib prévoit de lancer une rubrique « Santé » permettant aux utilisateurs de compiler leurs informations médicales personnelles, telles que leurs traitements ou allergies, et de recevoir des conseils de prévention personnalisés, dont certains payants. Si cette initiative peut sembler complémentaire, elle soulève des interrogations majeures.
Les questions qui fâchent
La perspective d’un carnet de santé numérique privé en parallèle du service public inquiète à plusieurs titres :
- Pourquoi un doublon ? L’existence de deux outils similaires pourrait créer de la confusion pour les usagers et les professionnels de santé, au lieu de simplifier les parcours de soin. Un carnet de santé unique et centralisé semble être une solution plus évidente pour tous.
- Quelle protection des données ? Les données de santé sont parmi les plus sensibles. Leur collecte et leur utilisation dans des circuits privés soulèvent des doutes quant à leur sécurité et leur transparence. Comment s’assurer que les intérêts commerciaux ne primeront pas sur la protection des droits des patients ?
- Quels objectifs ? La dimension commerciale de la plateforme de Doctolib suscite des questions sur l’indépendance et la pertinence des conseils de prévention qui seraient proposés. Les utilisateurs recevront-ils des recommandations basées sur leurs intérêts médicaux ou sur des logiques de profit ?
Les associations de patients rappellent que le cadre actuel de Mon espace santé a été construit collectivement pour garantir un outil neutre et sécurisé, respectant les valeurs de solidarité du système de santé français. Elles soulignent que la privatisation des données pourrait à terme fragiliser cette confiance.
Un appel à l’action
Dans ce contexte, les représentants des usagers appellent les pouvoirs publics à agir rapidement. Ils demandent :
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Une concertation avec l’ensemble des acteurs (associations de patients, professionnels de santé, éditeurs de logiciels) pour clarifier les règles et conditions d’utilisation des données de santé. Cela inclut l’établissement de normes communes pour l’interopérabilité et la sécurité des plateformes.
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Une accélération du développement de Mon espace santé, avec des améliorations fonctionnelles telles que l’intégration de nouvelles technologies, une interface utilisateur plus intuitive, et un accompagnement renforcé pour les usagers moins à l’aise avec le numérique.
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La garantie d’un carnet de santé numérique unique, sous forme de service public, à l’abri des intérêts commerciaux.
Un enjeu de confiance
Les données de santé ne sont pas un terrain de chasse. Elles concernent la vie privée de chaque citoyen et doivent être gérées dans un cadre transparent, éthique et solidaire. Face à la menace d’une privatisation rampante, il est essentiel que Mon espace santé continue de se développer comme un outil public accessible, efficace et digne de confiance.
Ce combat, porté par les associations de patients et d’usagers, est celui d’un numérique en santé au service de tous, sans compromis sur la protection des données et la justice sociale.
Les pouvoirs publics doivent jouer un rôle central pour maintenir et renforcer la confiance des citoyens dans le système de santé numérique. Cela passe par des choix clairs en faveur d’un modèle public et solidaire, garant d’une santé numérique sûre et équitable pour tous.