Ce lundi 31 mars marque la fin de la trêve hivernale. Dès aujourd’hui, les expulsions locatives reprennent, replongeant des dizaines de milliers de familles dans l’angoisse de perdre leur toit. Cette perspective est d’autant plus alarmante que les chiffres explosent : entre 2023 et 2024, le nombre de ménages expulsés de force a augmenté de 26 %, et la situation économique de nombreux foyers ne cesse de se détériorer.
Selon les données publiées le 20 mars par la Chambre nationale des commissaires de justice, 24 000 procès-verbaux d’expulsion ont été délivrés en 2024, contre 19 000 en 2023, soit une hausse de 17 % par rapport à 2022. Une tendance vertigineuse qui ne semble pas prête de ralentir. Pour Marie Rothhahn, responsable de la plateforme Allô prévention expulsion à la Fondation pour le logement (ex-Fondation Abbé-Pierre), « on atteint près de 50 % de hausse en deux ans. C’est affolant. »
Un basculement politique : de la prévention à la répression
Cette explosion des expulsions n’est pas le fruit du hasard. Elle s’inscrit dans un tournant politique majeur, incarné notamment par la loi Kasbarian-Bergé, votée en juillet 2023. Sous prétexte de lutter contre les occupations illicites, ce texte a gravement affaibli les protections des locataires : accélération des procédures, restrictions pour établir un échéancier, même pour les ménages ayant repris leurs paiements…
« On est passé de la prévention à la répression. C’est un vrai tournant », résume Marie Rothhahn. Dans les faits, les préfets sont désormais incités à expulser plus rapidement, reléguant au second plan toute tentative de relogement ou d’hébergement d’urgence.
Ce durcissement s’inscrit dans un discours plus large stigmatisant les locataires en difficulté. Ces derniers sont trop souvent assimilés à des squatteurs, alors que la majorité d’entre eux font face à des accidents de la vie : perte d’emploi, maladie, séparation… « C’est une légitimation inquiétante de la répression envers les plus pauvres », alerte la Fondation pour le logement.
Un déséquilibre criant dans la répartition du patrimoine immobilier
Par ailleurs, les défenseurs des droits au logement dénoncent l’hypocrisie des discours politiques centrés sur la souffrance des « petits propriétaires ». Certes, ces cas existent, mais ils ne sont pas représentatifs. Une note de l’économiste Pierre Concialdi pour la plateforme Logement pour tou·tes rappelle que seuls 12 % des ménages détiennent des biens immobiliers de rapport, et que les 5 % les plus riches possèdent près de la moitié du parc immobilier locatif.
Un État qui se désengage
La situation est d’autant plus grave que l’État semble se désintéresser de la prévention. Aucun comité de suivi du plan national de prévention des expulsions n’est plus réuni, et l’observatoire des impayés est inactif depuis 2019. Seuls les chiffres des commandements de quitter les lieux sont encore suivis.
Ce désengagement est dramatique alors que les locataires sont au bord de l’asphyxie. La crise du Covid a laissé des traces, et le retour de l’inflation n’a fait qu’aggraver les choses. Hausse des loyers, flambée des charges énergétiques, salaires stagnants : « Les locataires n’en peuvent plus », alerte Eddy Jacquemart, président de la Confédération nationale du logement (CNL).
À titre d’exemple, en 2020, 2 400 commandements de payer avaient été enregistrés. En 2024, ce chiffre dépasse les 10 000, selon Mélanie Baillot, directrice de l’Adil en Occitanie.
La spéculation, cœur du problème
Pour Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de l’association Droit au logement (DAL), cette situation est le résultat direct d’une spéculation effrénée sur le logement : « On assiste à une surexploitation d’un besoin essentiel au profit d’une minorité. »
Même les HLM, traditionnellement protecteurs des ménages modestes, sont en difficulté. Fragilisés par des ponctions budgétaires depuis 2018, ils sont aujourd’hui confrontés à une explosion des impayés et expulsent eux aussi.
Dijon manifeste contre les expulsions
Le jeudi 27 mars 2025, à Dijon, plusieurs dizaines de militants du DAL se sont rassemblés devant Dijon Métropole pour dénoncer cette politique jugée inhumaine. Parmi leurs revendications : l’arrêt total des expulsions, le respect de la loi DALO, une baisse des loyers, une hausse des APL, et la lutte contre le blanchiment d’argent dans l’immobilier.