Un collectif de chercheurs et d’universitaires prend la plume pour défendre le quartier des Lentillères à Dijon face aux accusations récentes de l’adjoint à la transition écologique, M. Hoareau. Ce dernier a présenté les Lentillères comme un bidonville, un lieu de précarité insoutenable, alimentant ainsi une vision stigmatisante et erronée d’un projet qui, depuis plus d’une décennie, propose selon eux une alternative sociale et environnementale innovante.
Tribune des universitaires et chercheur.es de Dijon, membres d’Atelier d’écologie politique « Penser les transition », en soutien au quartier libre des Lentillères
Non, Monsieur Hoareau, le quartier des Lentillères n’est pas un bidonville ni un camp de réfugiés forcés de dormir à même le sol dans des conditions inhumaines. Le quartier des Lentillères est une remarquable expérience sociale, culturelle, politique, écologique et économique qui depuis plus d’une décennie tente de proposer une autre manière de faire et d’habiter la ville.
Soyons clairs, l’événement dramatique qui s’est produit mercredi dernier, qui n’a fort heureusement eu que des conséquences matérielles, ne devrait pas être l’occasion d’une instrumentalisation politique de la part de l’adjoint à la « transition écologique » que vous êtes. Car au lieu de stigmatiser l’aventurisme, l’irresponsabilité et l’extrémisme de ses habitant.es, cet évènement devrait plutôt accompagner la prise de conscience que ces habitant.es ont pris à bras-le-corps, parce qu’inhérente à leur conception du vivre-ensemble et de la solidarité, une fonction sociale que les pouvoirs publics, le fameux état de droit qu’ils et elles défieraient, peinent à assumer totalement.
Ni le droit au logement pour les plus démunis, ni le droit de cité pour les réfugiés, ne sont assurés si aisément en dehors de ce soi-disant « bidonville ». Si vous avez découvert, à l’occasion de votre visite aux Lentillères, qu’il y a des gens qui dorment par terre, nous vous invitons à arpenter les rues du centre-ville le soir pour élargir votre horizon de la misère. Qu’une forme de précarité existe aux Lentillères, c’est une précarité d’existence du quartier tout entier, liée à 15 ans de lutte pour exister, dans la bricole ingénieuse et créatrice du recyclage qu’ailleurs on dirait « écologique et économe », malgré l’horizon toujours présent d’être évacué et rasé pour être loti par des promoteurs qui ont montré juste à côté, comment, dans la conception municipale, les notions d’éco-quartier et d’écologie pouvaient se marier avec le béton, l’hyper densité, et une spécialisation fonctionnelle digne des grands ensembles des années 1970.
Personne, ni vous, ni nous, ni les personnes concernées, n’accepteraient et n’acceptent de vivre à côté d’un dépotoir et dans les « conditions indignes » que vous décrivez, complaisamment relayées avec force photographies, mais alors, à faire amalgame, vous ne pouvez décemment ignorer que l’action qui conduit à faire des « petits jardins extrêmement jolis », comme vous dites, est la même que celle qui conduit à vouloir offrir une forme de résolution à la précarité et à l’errance. Loin de l’image publique désastreuse que vous voulez en donner, nous sommes convaincus et admiratifs de la grande maturité politique dont fait preuve le collectif des habitantes et habitants des Lentillères, par les actions (jardins partagés, maraîchage, marché à prix libre, cantine solidaire, valorisation de la biodiversité, habitat léger, tiers lieu culturel…) et les réflexions associées (comme penser une « Zone d’écologie communales ») qu’il a engagées.
Nous, universitaires, chercheuses et chercheurs de l’université de Bourgogne, de l’Inrae, de l’institut Agro Dijon, membres de l’Atelier d’écologie Politique « Penser les transitions », du réseau national des ATECOPOL, leur apportons notre soutien total et souhaitons, avec elles et eux, la reprise des discussions avec la mairie pour que soit reconnu leur engagement dans et pour la ville.
Jean-Louis Tornatore, anthropologue, professeur émérite
Yannick Sencébé, sociologue, enseignante-chercheuse
François Jarrige, historien
Lucie Dupré, anthropologue, chercheuse
Antoine Lagneau, chargé de cours
Jérémy Sauvineau, ingénieur de recherche
Caroline Darroux, anthropologue
Sonja Kellenberger, sociologue
Floriane Derbez, enseignante-chercheuse en sociologie
Judite Rodrigues, enseignante-chercheuse
Marielle Poussou-Plesse, sociologue, enseignante-chercheuse