Un scandale secoue l’IRFA Bourgogne Franche-Comté, organisme de formation implanté depuis plus de quarante ans dans la région. Trois plaintes ont été déposées le jeudi 3 avril 2025 contre un formateur de l’établissement pour des faits particulièrement graves : harcèlement sexuel, comportements à connotation sexuelle répétés et agression sexuelle avec abus d’autorité.
Derrière la façade d’un organisme reconnu pour son engagement social et son accompagnement vers l’insertion professionnelle, plusieurs stagiaires et salariées dénoncent aujourd’hui un climat de peur et d’impunité. Selon les témoignages recueillis par Dijon Actualités, les faits reprochés s’étendent sur plusieurs mois, voire années, au regard des éléments à notre disposition, et se seraient déroulés au sein même des locaux de l’IRFA BFC, situés au 10 rue Antoine Becquerel, à Chenôve.
« Il me touchait sans cesse, même devant les autres »
Dijon Actualités a pu rencontrer une personne ayant porté plainte. Pour des raisons que chacun et chacune pourra comprendre, cette personne a accepté de témoigner anonymement sur ce qu’elle a subi : « Ce monsieur a eu un comportement déplacé à mon égard : il est venu boire dans mon café, et m’a caressé la joue. Il m’a touchée à de nombreuses reprises, mettant sa main sur ma cuisse, sur mes hanches, en passant son bras derrière mon dos, il mettait sa main sur mes épaules et il m’a caressé les cheveux. Ceci s’est produit à plusieurs reprises, dans la salle de cours, en présence d’autres stagiaires — aucun n’a réagi. »
Puis elle nous dit : « Il m’a également posé des questions d’ordre privé, sans rapport avec le stage, à savoir des questions sur mon compagnon d’origine africaine, dont il avait vu la photographie sur l’écran de veille de mon smartphone. Il a essayé de déverrouiller mon smartphone. Les questions qu’il m’a posées au sujet de mon compagnon sont les suivantes : Si je voulais des enfants avec — Si je comptais me marier avec — Si j’habitais avec — Depuis combien de temps j’étais avec. Il m’a également montré une photographie de lui-même torse nu, plus jeune, me demandant s’il était plus beau que mon petit ami ou non. J’ai répondu “non” à cette question ; aux autres questions précédentes, je n’ai rien répondu. »
Elle nous ajoutera que ce formateur lui aurait également fait subir des remarques humiliantes répétées : « S’il nous donnait un exercice à faire et qu’on le réussissait sans faire de faute, il disait qu’on était nuls, que ça n’était pas normal car on était nuls. J’ai également entendu ce monsieur dire à une stagiaire prénommée Camille qu’un jour ou l’autre, il faudrait qu’elle rentre dans le rang. »
Elle nous précise aussi que sa formation s’est terminée une semaine avant Noël 2024 : « Le 12/12/2024, j’ai été entendue par S…… S…… et E………., qui sont les directeurs de l’établissement. Je leur ai montré l’attestation que j’ai faite, indiquant les faits que je dénonce ici, afin de changer de lieu de formation. Ils ont validé mon changement de lieu de formation, j’ai arrêté cette formation. La suite de la formation s’est déroulée au CESAM à Quetigny (21). Le 22/01/2025, de 10h00 à 11h00, j’ai été entendue par le directeur général de l’IRFA, Monsieur Guy LOUDIÈRE. »
Des faits connus mais tus ?
D’autres témoignages internes viennent renforcer l’onde de choc. Une formatrice raconte une scène similaire : « Alors j’étais à la photocopieuse, dans l’entrée du bâtiment de l’IRFA, j’ai croisé ce monsieur que j’ai salué. Il m’a dit quelque chose comme “bonjour, ça va”, nous avons à peine échangé. Il s’est approché de moi et, avec son doigt, il m’a caressé la joue. J’ai été tellement surprise et choquée que je n’ai pas réussi à réagir. Il est parti ensuite. Je n’en ai parlé à personne. Quelques mois plus tard, M………. était enceinte et a raconté à table, à midi, que A……. lui a touché le ventre sans autorisation. J’ai compris que personne n’était choqué, car visiblement ce n’était pas surprenant de la part de ce collègue. »
Ce silence ambiant, cette banalisation des gestes intrusifs, jettent une lumière crue sur un possible système de tolérance. Comment cet homme, durant plusieurs années, a-t-il pu agir ainsi, si les faits dénoncés s’avèrent vrais ?
Car disons-le clairement, selon les éléments à notre disposition (témoignages), cet homme aurait eu des gestes et propos inappropriés à l’égard de certaines stagiaires depuis des années : « J’ai effectué un premier DAQ au CESAM il y a plus de 10 ans déjà. A….. était déjà formateur de mathématiques. Lors des séances, il avait régulièrement des propos inappropriés auprès de la gente féminine. Il se permettait aussi beaucoup de proximité physique et verbale (des compliments qu’on ne fait pas dans un cadre professionnel, et encore moins entre un stagiaire et un formateur). Les faits datent de quelques années, mais déjà à l’époque, son comportement était préoccupant et déplacé. Je suis arrivée au DAQ cette année, et malheureusement, encore une fois, plusieurs stagiaires de sexe féminin m’ont expliqué qu’elles ne souhaitaient plus aller à ses cours de maths à cause de sa proximité et de ses propos indécents. On m’a en effet confié qu’elles se sentaient mal à l’aise, qu’elles avaient peur, car c’était récurrent. »
La direction réagit et reconnaît la gravité
Contacté par Dijon Actualités, Guy Loudière, directeur général de l’IRFA BFC, reconnaît l’ampleur du problème : « J’ai pris mes fonctions en mars 2023 dans le cadre du rapprochement entre mon groupe et l’IRFA BFC, qui était une association indépendante. J’ai été nommé Président bénévole début avril 2025. J’ai été alerté en novembre 2024 de faits impliquant un de nos stagiaires. En décembre 2024, un formateur nous a adressé un mail signalant des agissements en salle de formation. »
Il précise : « J’ai fait un signalement auprès du Procureur de la République de Dijon en février 2025. Les faits impliqueraient un comportement inapproprié envers un stagiaire du DAQ 2.0, ainsi qu’envers des collaborateurs de l’association. J’ai immédiatement déclenché une enquête interne, menée par notre référente harcèlement sexuel et agissements sexistes. Nous avons rencontré les personnes concernées, stagiaires et salariés. »
Et de conclure : « Ces comportements, s’ils s’avèrent exacts, sont non seulement contraires aux règles attendues d’un professionnel de l’éducation, mais peuvent aussi avoir des conséquences dramatiques sur notre environnement de travail. Dans le respect de la présomption d’innocence, nous avons saisi la justice et engagé les procédures pour garantir un environnement d’apprentissage sain. Le formateur a été mis à pied à titre conservatoire et est depuis en arrêt maladie. »
Guy Loudière, directeur général de l’IRFA BFC, a agi avec réactivité une fois les faits portés à sa connaissance. Mais une question demeure en suspens : si ces faits s’avèrent exacts, pourquoi aucun signalement n’a-t-il été fait plus tôt ? Car, à en croire un témoignage, ce salarié aurait déjà eu des comportements similaires il y a plus de dix ans : des propos inappropriés envers des femmes, une proximité physique et verbale déplacée — des compliments qu’on ne fait pas dans un cadre professionnel, encore moins entre un formateur et une stagiaire.
Trois plaintes ont déjà été déposées, et selon nos informations, d’autres pourraient suivre dans les jours à venir. Ce dossier en cours souligne l’urgence de briser le silence autour du harcèlement, et la nécessité de garantir des mécanismes de signalement sûrs et efficaces dans les établissements de formation. L’enquête judiciaire est désormais entre les mains des autorités compétentes. Au sein de l’IRFA, ces trois premières plaintes marquent une forme de victoire : elles auront permis de rompre le silence. Il était temps.