Lors de sa séance du 18 décembre 2025, le conseil métropolitain de Dijon examinait une nouvelle convention d’objectifs et de moyens 2025-2030 avec Grand Dijon Habitat, premier bailleur social de la Métropole.
Cette convention, dans la continuité de celle de 2019-2024, prévoit 17,33 millions d’euros de subventions pour soutenir le développement de nouveaux logements sociaux, l’éco-réhabilitation du parc existant et des opérations innovantes, dans un contexte de hausse des coûts, de raréfaction du foncier et de tensions sociales.
Mais le débat a rapidement pris un tour très polémique entre Emmanuel Bichot, conseiller d’opposition, François Rebsamen, président de Dijon métropole, et Hamid El Hassouni, président de Grand Dijon Habitat.
Une convention pour maintenir un « niveau élevé d’investissement »
Le rapport présenté rappelait que Grand Dijon Habitat, office public de l’habitat rattaché à la Métropole depuis le 1er janvier 2017, « loge plus de 26 000 personnes dont 11 000 enfants au sein d’un parc de 11 000 logements et équivalents-logements représentant 40 % de l’offre locative conventionnée du territoire métropolitain ».
La nouvelle convention 2025-2030 vise à permettre à l’office de « maintenir un niveau élevé d’investissement au service des objectifs en matière d’habitat et de logement », en lien avec le POA Habitat 2020-2030, le Contrat de ville 2024-2030 et le Plan Climat et Biodiversité 2025-2030.
Elle prévoit notamment :
- un soutien financier à la création de nouveaux logements sociaux :
« montant forfaitaire de 10 000 € par logement PLUS, de 18 000 € par logement PLAi, de 4 000 € par logement PLS réalisé en acquisition-amélioration » ; - une subvention aux éco-réhabilitations « d’un montant de 6 000 € par logement » ;
- une subvention annuelle à hauteur maximum de 400 000 € pour « le soutien des opérations complexes (…) et/ou expérimentales » ;
- une prime “Climat et Biodiversité”, « d’une enveloppe annuelle maximum de 350 000 € », destinée à co-financer des « mises en œuvre vertueuses, plus ambitieuses que de la réglementation en vigueur ».
L’ensemble représente « un volume global de subventions à hauteur de 17,33 millions d’euros, niveau comparable aux concours financiers versés par Dijon métropole au titre de la période 2019-2024 ».
Emmanuel Bichot attaque sur la transparence, l’opportunité et les publics logés
Prenant la parole, Emmanuel Bichot annonce d’emblée la couleur : « M. le Président et chers collègues, nous avons étudié de près ce projet de convention entre la Métropole et Grand Dijon Habitat pour les cinq années à venir. Plusieurs remarques par rapport au projet qui nous est présenté. La première, c’est que nous regrettons que Grand Dijon Habitat ne publie pas ses comptes. »
Il critique le caractère jugé insuffisant des informations financières disponibles : « Alors on va nous dire, mais l’Ancols fait des rapports. Le dernier rapport de l’Ancols, il vient de sortir pourtant décembre 2024, les chiffres les plus récents sont ceux de 2021. Donc, la première remarque que nous souhaitons faire, c’est que quand on parle de 17 millions d’euros de subventions, il serait quand même normal que les chiffres soient publiés. La moindre association, quand elle touche quelques dizaines de milliers d’euros, doit publier des comptes certifiés. Nous n’avons pas les comptes de Grand Dijon Habitat. »
L’élu s’interroge également sur l’opportunité de subventionner spécifiquement cet office public : « Aujourd’hui, nous avons sur la Métropole de Dijon des bailleurs sociaux qui ont des fonds propres et qui sont prêts à faire des logements sociaux si on leur demande. Donc, le principe même de subventionner un organisme qui lui n’a pas de fonds propres pose une question d’opportunité de l’utilisation des crédits publics. »
Il demande des précisions sur l’utilisation de l’enveloppe : « Je fais la remarque suivante, c’est que vous prévoyez une enveloppe de 17,33 millions d’euros pour les cinq années à venir. On ne connaît pas la répartition de cette enveloppe entre création de logements nouveaux et réhabilitation de logements existants. Pourriez-vous nous donner cette ventilation ? »
Autre sujet : l’augmentation programmée du nombre de logements construits : « Lors du dernier contrat avec la Convention de Grand Dijon Habitat 2019-2024, 512 logements nouveaux ont été créés. Vous prévoyez dans ce nouveau contrat mille logements nouveaux. Pourquoi cette accélération ? Pouvez-vous nous dire où nous en sommes par rapport aux objectifs qui ont été prévus dans le PLUHD et pourquoi une telle accélération ? »
Sur la question sociale, Emmanuel Bichot met en cause la structure même du parc : « L’augmentation des impayés. La crise, quelle crise ! Bien évidemment, il y a un appauvrissement, une augmentation du taux de pauvreté dans le pays. Mais pourquoi est-elle beaucoup plus forte à Dijon et dans la métropole qu’en France ? C’est la question qu’il faut se poser. Notre parc HLM, et en particulier le parc de Grand Dijon Habitat, ne peut pas constamment accueillir des populations plus pauvres, des populations de migrants extérieures à la métropole. Nous ne pouvons accueillir ces populations sans créer des difficultés dans le parc social. »
Il voit dans les demandes de mutation un signe de « mal-être » : « Sur ces demandes de logement, 40,5% concernent un changement de logement. Et bien ça, je peux vous dire que c’est un indicateur qui traduit le mal-être. C’est un indicateur qui traduit le mal-être. (…) Ça veut dire que de nombreux habitants (…) ne sont pas satisfaits des conditions dans lesquelles ils jouissent aujourd’hui de leur logement. (…) Et donc, si vous voulez, ça déjà c’est un indicateur d’échec. »
Enfin, il insiste sur la provenance des demandeurs : « Pourriez-vous nous donner la part de ces demandes venant de l’extérieur de notre métropole ? (…) Pour moi, ce n’est pas pareil d’avoir une demande émanant de la métropole qu’une demande extérieure. »
Sur les nuisibles, il exprime sa forte inquiétude : « Sixième point, je regrette le passage sur les nuisibles, l’infestation de nuisibles qui devient une préoccupation majeure. »
Les propos d’Emmanuel Bichot provoquent la réaction immédiate de François Rebsamen : « C’est le Russe ça ! Le Z. »
Emmanuel réplique en disant : « Ne faites pas votre plaisanterie à deux balles, s’il vous plaît. Que j’ai déjà entendue. »
François Rebsamen lui coupe le micro et lui dit : « Vous pouvez parler autrement. “Des plaisanteries à deux balles”, moi je suis respectueux quand je vous adresse la parole. Donc je vous demande de l’être aussi. »
Emmanuel Bichot reprend la parole pour dire : « Ce sujet est extrêmement grave. L’infestation de blattes et l’infestation de punaises de lit ne cessent de progresser dans le parc de Grand-Dijon-Habitat. Il est dommage que ce sujet soit traité en un seul paragraphe, sans aucun chiffre sur le diagnostic, sans aucun chiffre quantifié sur les objectifs à venir pour redresser cette situation et éviter des situations dramatiques pour des locataires. Pour toutes ces raisons, Monsieur le Président et chers collègues, nous voterons contre ce rapport. »
François Rebsamen : un discours « limite raciste », « la haine de l’étranger »
François Rebsamen, au sujet des migrants et des demandes de logements extérieures à la métropole, répliquera lorsque Emmanuel Bichot annonce qu’il ne votera pas pour ce rapport, en disant : « Ça me fait presque plaisir. Je comprends pourquoi M. Zemmour vous apporte son soutien. Je n’ai pas le moindre doute. Vraiment, c’est les barricades autour de la métropole. On ne sait jamais. Les gens qui viennent de l’extérieur de la métropole. On n’a pas le droit de venir de l’extérieur de la métropole et de demander un logement. Vous savez qu’il y a beaucoup de gens qui sont attirés par la qualité de la vie à la métropole. Et on ne leur demande pas quand ils rentrent dans la métropole, parce qu’il n’y a pas de frontière à l’entrée, quelle est leur nationalité. Je sais que vous le regrettez qu’on ne leur demande pas leur nationalité. Mais nous, on accueille ceux qui veulent venir travailler ici. Ils font une famille et on les accueille avec plaisir. C’est comme ça qu’on s’est développé depuis des siècles et des siècles. Et ça va continuer comme ça malgré vous. »
Le président de Dijon métropole va jusqu’à qualifier ce discours : « Franchement, c’est un discours assez effrayant. Je ne sais pas comment dire, mais je suis choqué de vous entendre comme ça. C’est limite raciste, mais ça ne le dit pas son nom. C’est un peu ça, quand même. C’est vraiment la haine de l’étranger. C’est vrai que ça fait peur. C’est peut-être même la couleur de peau qui fait peur. On ne sait jamais. Parmi nos frères français, il y a tous les gens d’outre-mer. Ils sont colorés de peau. Et on ne les reconnaît pas à l’extérieur quand ils arrivent. On ne sait pas s’ils viennent d’outre-mer ou d’ailleurs. Et on ne leur demande pas leur passeport. Voilà. Enfin, c’est lamentable ce que vous venez de dire. Je voudrais vous le dire. En plus, c’est faux. C’est invraisemblable. »
Sur le volet logement, François Rebsamen défend la politique de construction et de gestion : « 12 000 demandes non satisfaites de logement. Évidemment qu’il y a des demandes non satisfaites. Vous découvrez que parce qu’il y en a qui veulent changer de logement. Mais ça fait longtemps qu’on le sait. (…) C’est pour ça qu’il faut construire des logements. C’est pour ça qu’il faut construire des logements. C’est pour ça que vous ne comprenez pas qu’on demande de construire des logements. »
Il assure également que la lutte contre les impayés progresse : « Des efforts énormes sont faits pour, bien évidemment, lutter contre les impayés. D’ailleurs, le montant des impayés a diminué. Et pourtant, nous sommes dans une situation difficile, on le sait, par rapport à certaines personnes qui ont des difficultés financières. Mais on ne va pas les mettre à la rue. On essaie de les faire payer, c’est normal, leur loyer. »
Hamid El Hassouni réplique : « Vous niez une réalité »
Le président de Grand Dijon Habitat, Hamid El Hassouni, intervient à son tour pour défendre son organisme : « Merci, Monsieur le Président, de me donner l’occasion de m’exprimer. Je me déporte sur ce rapport, bien évidemment, pour éviter les conflits d’intérêts puisque Monsieur Bichot est très procédurier. Mais j’ai beaucoup de mal à définir le trait de caractère de cette personnalité-là. Je pourrais vous qualifier de suspicieux. C’est même très inquiétant pour un magistrat financier qui travaille à la Cour des comptes. Vous niez une réalité, sauf à être aveuglé par le dogmatisme. »
Il renvoie Emmanuel Bichot à la convention similaire entre Orvitis et le Département : « Si vous dénoncez la convention entre Grand-Dijon Habitat et Dijon Métropole, vous devriez en faire de même entre Orvitis et le Conseil Départemental de Côte d’Or. À ce sujet-là, je ne vous ai pas beaucoup entendu. »
Puis il invoque le rapport de l’ANCOLS : « Oui, je vais rappeler un peu les conclusions de l’ANCOLS, de l’Agence nationale de contrôle du logement social, qui est donc le gendarme du logement social, qui a évalué pendant des mois la gestion, la qualité de service et la soutenabilité financière de Grand Dijon Habitat. Et ce rapport, il est très satisfaisant. Et il est rendu public puisque vous pouvez le télécharger directement sur le site de l’ANCOLS. Et il souligne plusieurs points qui font la force de cet organisme HLM. Il met notamment en avant l’engagement de Grand Dijon Habitat dans un programme conséquent de réhabilitation thermique du patrimoine ancien, sa solidité financière, sa performance en termes d’exploitation est satisfaisante et sa gestion des charges est maîtrisée ainsi que son rôle social qui est réaffirmé. »
Sur les capacités financières : « Et puis, grâce à plusieurs mesures adoptées en interne par le bailleur social, il s’avère que la capacité d’autofinancement annuel de ces 5 dernières années a été préservée pour financer notamment sur fonds propres l’essentiel des opérations qui sont prévues au titre du plan stratégique patrimonial. Je peux vous citer les 860 logements réalisés, livrés depuis 2017, ou encore les 1 800 logements éco-réhabilités ces 5 dernières années. »
Sur la question des nuisibles, Hamid El Hassouni se veut précis : « Monsieur Bichot s’improvise, il décrète qu’il est inspecteur sanitaire et d’hygiène, donc c’est devenu un spécialiste de ces questions-là. (…) Donc l’inspecteur sanitaire, Monsieur Bichot, n’a pas connaissance que Grand Dijon Habitat a réalisé une grande enquête sur l’ensemble de son patrimoine et il s’avère que 86 % des locataires sont satisfaits des interventions de son prestataire (…) Il y a des protocoles qui ne sont pas respectés jusqu’au bout par certains locataires. Il y a certains locataires, pour des raisons qui leur sont propres, qui refusent d’ouvrir les portes. C’est pour ces raisons-là que la ville de Dijon, par exemple, (…) et Grand-Dijon Habitat, ont réalisé des opérations coup de poing, notamment sur le quartier de la Fontaine-Douche, pour faire en sorte justement de couvrir la totalité de l’immeuble. Vous ne connaissez pas le sujet, vous êtes dans la stigmatisation permanente, laissant croire que le patrimoine de Grand Dijon Habitat
est envahi par les blattes et par les punaises, ce qui est faux. »
Il rappelle enfin la réalité sociale des locataires : « Oui, il y a une crise sociale et économique qui impacte les locataires de Grand Dijon Habitat, comme c’est le cas d’autres locataires ou propriétaires. Il y a une crise du pouvoir d’achat et personne n’est épargné. »
Et il défend le sens des demandes de mutations : « Il s’avère qu’on a une population vieillissante qui aspire à pouvoir accéder à des appartements accessibles avec ascenseurs. Il y a des décohabitations des jeunes qui veulent voler de leurs propres ailes pour pouvoir construire leur avenir. Et il y a aussi malheureusement des séparations ou avec l’obligation de reloger en urgence une maman avec ses enfants. C’est ça la réalité, mais vous laissez croire que finalement ces mutations sont liées à un climat d’insécurité. »
La conclusion est sans ambiguïté : « Simplement pour vous dire que oui, je suis très fier de ce que fait Grand Dijon Habitat, de ce qu’accomplissent les 170 collaborateurs. Et nous allons continuer à relever le défi social et économique et le défi économique qui nous attend pour les prochaines années. Vous pouvez compter sur moi et on sera encore là, Monsieur Bichot. »
Une convention adoptée par la majorité, dans un climat d’affrontement
Après ces échanges nourris, François Rebsamen recentre brièvement le débat sur la politique du logement : « Donc on va continuer à réhabiliter et il y aura une nouvelle programmation et on va continuer à aider, bien évidemment, le logement social et principalement notre bailleur, ce qui n’écarte pas le fait que nous aidons les autres bailleurs également. Et quand d’autres bailleurs, qui soient départementaux ou nationaux, interviennent sur le territoire de la métropole, nous les aidons. »
François Rebsamen prendra l’initiative d’une dernière attaque contre Emmanuel Bichot, il élargit son attaque au terrain religieux : « Et cette manière que vous avez de cibler uniquement Grand Dijon Habitat, c’est méprisant pour les gens qui y travaillent. Vous ne pouvez pas vous imaginer comme c’est méprisant. Et puis votre haine de l’étranger, ça fait mal quand on est un catholique pratiquant, parce qu’il y en a quand même qui ne sont pas comme vous. Heureusement d’ailleurs. Heureusement. Si vous n’êtes pas contents, vous pouvez partir. C’est très bien. Je sais très bien ce que je dis. (…) Ils connaissaient l’Évangile, ils n’iraient pas ce qu’ils disent. Mais ils ne le connaissent même pas pour faire semblant. »
Malgré l’annonce d’Emmanuel Bichot — « nous voterons contre ce rapport » — la convention 2025-2030 a été adoptée, plusieurs élus seulement s’y opposant, dans une ambiance marquée par des accusations de « stigmatisation », de « haine de l’étranger » et par une défense vigoureuse du rôle de Grand Dijon Habitat dans la politique sociale de la Métropole.
